Un livre bien sympathique à lire. De l'aventure, de l'exotisme dans ce grand pays qu'est l'Inde, un scénario qui tient la route.
J'avais vu le film "Slumdog millionnaire" il y a quelques années, c'était prenant, halentant, on peut dire que le livre l'est tout autant.
L'histoire repose sur la participation et la réussite d'un jeune homme indien à un jeu télévisé, une sorte de "Qui veut gagner des milions" à l'indienne. 13 questions de plus en plus incroyables auxquelles le jeune Ram Mohammad Thomas, à priori un concurrent sans faculté ni connaissance hors norme, va répondre avec succès. 13 questions qui vont l'entraîner vers la gloire et la richesse.
La construction de ce livre est ingénieuse puisqu'à chaque question correspond un pan de la vie de Ram (hindou) Mohammad (musulman) Thomas (chrétien) et présente une caractéristique de l'Inde. Notre héros décrit un événement de son enfance puis de sa jeunesse et, en fin de chapitre, on revient sur la question posée lors du jeu télévisé. On comprend alors que le simple hasard de la vie peut être la clef du succès.
Le tout forme un remarquable tableau présentant ce pays à multiples facettes sociales, culturelles ou religieuses. L'auteur ne fait pas un tableau idyllique de son pays et quelques passages sont un peu durs, violents, reflétant parfaitement la vie dans cette société indienne. Il ne fait bon être un enfant, une femme ou un paria en Inde.
J'ai aimé aussi cette lecture car elle m'a ramené en 1996 lors de mon voyage dans ce pays. Voyage inoubliable et indéniablement marquant.
"La promesse", elle est faite au début du livre, et si elle est "de l'aube", cela signifie qu'elle se situe pendant l'enfance du petit Romain Gary, né Romain Kacew, né à Vilnius en 1914 et qui grandit en Pologne en compagnie de sa mère qui lui espère le plus grand destin possible.
C'est à 44 ans, sur la plage de Big Sur qu'il retrace sa vie, une vie tout à fait exceptionnelle. Mais june vie qui ne l'est amais encore assez pour sa mère qui veut en faire un "grand homme". Au moins un ambassadeur de France !Ou bien "un second Guynemer" lorsque l'on évoque l'aviation. Ou bien, en toute simplicité, elle lui prédit :"Tu seras Victor Hugo! Prix Nobel !".
Romain,lui, nous dit alors "...je pensais à toutes les batailles que j'allais livrer pour elle, à la promesse que je m'étais faite, à l'aube de ma vie, de lui rendre justice, de donner un sens à son sacrifice et de revenir un jour à la maison, après avoir disputé victorieusement la possession du monde à ceux dont j'avais si bien appris à connaître dès mes premiers pas, la puissance et la cruauté". Le ton est donné.
Dès le plus jeune âge, cette maman omnipotente n'épargne rien à son fils et lui fait suivre toutes sortes de cours pour trouver son génie: des cours de violon,-mais le pauvre Romain est une catastrophe, des cours de danse, -l'essai est manqué également, des cours de chant mais Romain annonce alors avec ironie : "'il y a entre moi et mes cordes vocales un malentendu complet". Il y aura aussi des cours de dessin où l'enfant est plutôt doué mais...qui évoque à la mère une vie d'artiste et de bohème inconcevable dans son esprit. Elle veut de la...grandeur.
C'est finalement vers l'écriture que se dirigera dès le plus jeune âge le petit Romain. (le chapitre III est excellentissime lorsque Romain cherche un pseudonyme d'écrivain) et ce livre autobiographique prouve que ce n'était pas une erreur d'orientation.
La première partie du livre se situe en Pologne, lorsque la mère façonne des chapeaux pour dames et que le jeune Romain fait ses premières armes dans la vie. Il conte ses amours, ses joies et ses peines avec une certaine drôlerie il faut bien dire (chapitre XI: son premier amour avec Valentine qui lui en fait voir de toutes les couleurs...). La proximité avec sa mère est de tous les instants " ma mère se livrait à une prospection systématique pour tenter de découvrir en moi la pépite secrête de quelque talent caché."
Matériellement, la vie en Pologne était difficile pour le couple mais la mère n'épargnait rien de ses efforts pour élever leur niveau de vie et elle projetait d'émigrer en France. Le rêve n'était pas américain mais bien français: " L'amour, l'adoration, je devrais dire, de ma mère pour la France a toujours été pour moi une source d'étonnement....J'ai toujours été moi-même un grand francophile. mais je n'y suis pour rien. J'ai été élevé ainsi."
Dans la deuxième partie du livre, Romain et sa mère s'installe à Nice. Là, Romain se met à écrire sérieusement. A ses côtés, sa maman fait des pieds et des mains pour subvenir à leurs besoins: " Ma mère transforma une chambre de notre appartement en chenil, prit en pension des chiens, des chats et des oiseaux, lut les lignes de la main, prit des pensionnaires, assuma la gérance d'un immeuble, agit comme intermédiaire dans une ou deux ventes de terrai. Je l'aidais de mon mieux en essayant d'écrire un chef-d'oeuvre immortel." Les études de Romain vont cahin-caha, notamment dans les sciences exactes. A l'oral de chimie, quand on lui demande à quoi sert le plâtre, il répond: "Le plâtre sert à fabriquer les murs". " C'est tout ?" lui demande alors l'examinateur." -Comment, est-ce tout? C'est déjà énorme! Monsieur le Professeur, enlevez les murs et 99 pour cent de notre civilisation sont par terre." Toujours beaucoup d'humour donc...
Mais parfois, les mots de Romain Gary ne sont plus autobiographiques et affirment des vérités. Certaines sont saignantes pour un homme qui retrace et fait un bilan de sa vie.Sur la vieillesse par exemple..." Les hommes agés n'ont jamais eu d'ascendant sur moi, je les ai toujours considérés comme étant hors jeu et leurs conseils de sagesse me semblent se détacher d'eux comme des feuillesmortes d'une cime sans doute majestueuse mais que la sève n'abreuve plus". Sur l'homosexualité..." Que l'on ne s'imagine pas que je jette ici contre les homosexuels une exclusive quelconque. Je n'ai rien contre eux - mais je n'ai rien pour eux non plus. des personnalités pédérastes les plus éminentes m'ont souvent conseillé discrètement de me faire psychanalyser, pour vois si je n'étais pas récupérable... J'ai une nature méditative, un peu triste et je comprends même assez qu'à notre époque, après tout ce qui lui est déjà arrivé, depuis les camps de concentration,l'esclavage sous mille forme et la bombe à hydrogène, il n'y a vraiment aucune raison pour que l'homme ne se fasse pas...par-dessus le marché." ...!!! Un franc-parler qui montre une certaine personnalité...
La troisième partie du roman aborde la période de la guerre. Romain pilote des avions et n'a qu'une idée en tête: rejoindre De Gaulle. Mais rejoindre l'Angleterre ne sera possible qu'après un détour par l'Afrique du Nord. C'est alors une véritable vie d'aventurier pleine d'anecdotes croustillantes qui est contée car Romain vit au milieu des "as" de l'aviation: Gibraltar, Glasgow, Londres, Bangui...
Et toujours une présence de tous les instants , mais à distance, de la maman. "Jusqu'à mon retour à Nice, 3 ans et 6 mois plus tard[...] ces lettres sans date, hors du temps, devaient me suivre fidèlement. Pendant 3 ans et demi, j'ai été soutenu ainsi par un souffle et une volonté plus grands que la mienne et ce cordon ombilical communiquait à mon sang la vailance d'un coeur trempé mieux que celui qui m'animait"...
Le livre se termine alors sur le retour de Romain auprès de sa mère.
Admirable de densité et avec ce style si grandiloquent, " La promesse de l'aube" est un livre qui marque assurément, il y a une vraie "puissance" dans l'écriture de Romain Gary, une force de vivre, une terrible envie de plaire... Et alors qu'il termine par ces mots, regardant l'océan depuis la plage de Big Sur: "...J'ai vécu.", je ne dirais qu'une chose: "Je l'ai lu" !!!
The niece of Bois le Roi le 30-11-2013 à 08:52:51 #
Ah super, merci pour cette critique!je viens de lire "La tête en friche" de Marie-Sabine Roger (super livre d'ailleurs!) dans lequel on parle des Promesses de l'Aube et j'avais du coup envie de le lire...c'est confirmé avec ton avis ;-)
christineb le 21-10-2013 à 22:05:18 # (site)
J'ai trouvé aussi que c'était un très beau livre, et la personnalité de l'auteur est assez fascinante.
Il y a des fois des erreurs de casting. Moi avec ce livre notamment. J'espérais que l'exotisme offert par la couverture, par le titre et par ce que je connais de l'auteur ( "L'amant"...vaguement) m'offrirait un plaisir non-feint de lecteur enthousiaste! Cette période révolue du temps des colonies et cette contrée éloignée -l'Indochine-, laissait entrevoir un voyage dont je n'ai pas vraiment profité.
L'histoire se déroule dans les années 30, temps de la splendeur coloniale française. Suzanne (16 ans) et Joseph (20 ans) vivent avec leur mère veuve qui restera sans prénom dans le récit. Ces colons vivent chichement sur une concession incultivable que l'Etat a bien voulu leur octroyer. Ils auraient pu obtenir bien mieux mais...la mère a refusé d'entrer dans le jeu des fonctionnaires corrompus de l'état français et obtenir une terre plus propice à la culture. Ils habitent un bungalow minable, se nourrissent de viande d'échassier que Joseph chasse, celui-ci conduit une vieille automobile appelée B 12.
La famille, et surtout la mère, vit avec le couteau sous la gorge car l'Etat peut reprendre à tout moment la concession si la totalité de la propriété n'est pas mise en culture: la mère n'a donc qu'une idée en tête...réussir à cultiver sa terre et cela passe par la construction de barrages contre la montée des eaux du Pacifique lors des marées. Malheureusement, les barrages sont une utopie car ils ne pèsent pas lourds contre la force des eaux.
Les enfants, eux, ne pensent sans doute qu'à sortir de cette misère, s'échapper de cette vie de reclus dans la campagne indochinoise. alors, pour se distraire, ils se rendent à la ville en B 12 et c'est là que Suzanne fait la rencontre d'un certain M.Jo, fils d'un riche planteur de caoutchouc. M.Jo s'amourache de Suzanne et, si ce n'est pas réciproque, "la mère" aimerait volontiers marier sa fille avec un si beau partie. Pour montrer son amour envers Suzanne, M.Jo lui offre un diamant...pierre précieuse monnayable, notamment pour rembourser les emprunts contractés par "la mère" pour la construction de ces barrages qui n'ont pas résisté aux marées du Pacifique. Le mariage ne se faisant pas, "la mère" garde malgré tout le diamant et toute la famille file à la ville. La mère va-t-il réussir à vendre le diamant? La famille va-t-elle sortir de sa modeste condition? Telles sont les questions posés à cet instant du roman...
Ce livre, celui qui a fait connaître M.Duras, m'a particulièrement ennuyé: par sa lenteur, par son manque d'enthousiasme aussi, par ses redondances et son confinement. On tourne en rond, l'histoire n'avance pas, les relations entre enfants et mère, entre frère et soeur sont d'une ambiguïté extrême.
Ce roman est comme un vieux film en noir et blanc avec, sinon de mauvais acteurs, surtout de mauvais rôles. Quelques scènes salvatrices malgré tout: le début du roman qui séduit et déroute un peu et puis, ce qui concerne les descriptions de l'atmosphère d'une ville des colonies. Mais au final un gros brouillon ennuyeux et je suis presque certain de ne jamais retourner un jour vers ce prestigieux auteur...
A noter,: 2 films ont été tournés à partir de ce roman.
- en 1958: film de René Clément avec Silvana Mangano
- en 2008: avec Isabelle Huppert
christineb le 23-09-2013 à 22:16:24 # (site)
C'est dommage d'abandonner cet auteur car il s'agit là d'un roman des débuts de (je crois) et il est intéressant de voir comment Marguerite Duras a transformé son récit dans l'Amant puis dans l'Amant de la Chine du Nord, passant a une technique plus cinématographique. Et aussi de voir le rapport avec sa propre vie.
Bonne semaine.
Publié en 1996, Dade City est le premier roman de Laurent Sagalovitsch. Une réédition au format de poche chez Babel en février 2013 l'a fait sortir des oubliettes et l'a remis sur l'avant-scène.
Dade City est le court récit d'un meurtre décrypté, raconté et vécu par les différents personnages de l'histoire. Il est mis en scène sur deux jours - les 1er et 2 septembre mais l'on ne sait de quelle année...-, et dans une petite ville imaginaire de province appelée Dade City (Dade...comme daddy..of course! -...qu'on pourrait donc imaginer au Canada ou dans un lieu reculé des USA. Où et quand, quand et où? Par conséquent on s'en moque mais cette histoire possède des personnages et c'est à eux qu'il faut s'intéresser.
Dade City va être le lieu de rencontre de Sarah Kaufman -honneur aux dames, et de Gary Manckiewicz. Sarah est mariée et semble-t-il, mal mariée au redoutable Jacob Kaufman, médecin et notable de la ville qui mène une existence particulièrement rigoureuse. Pour oublier cette vie sans goût, elle a tendance à se perdre avec des fêtards du lieu, dansant et s'énivrant à qui mieux-mieux. Gary, lui, vient d'intégrer le lycée pour dispenser des cours de Français et ...reprendre en main l'équipe de football locale pour lui redonner du blason. Equipe dans laquelle joue Nathan, le fils de 13 ans de Sarah et Jacob.
Alors? Qui va mourir? Qui va tuer? A vous de le découvrir en écoutant le récit de chaque protagoniste, en lisant ce court roman -ça se lit presque d'une traite,- qui pose les jalons du style "Sagalovitsch" et de ses thématiques récurrentes, notamment son questionnement par rapport à Dieu et à la religion juive. Pour le style, on sent venir dans "Dade City" ce qui est si plaisant et remarquable dans la trilogie: "Loin de quoi?", " La métaphysique du hors-jeu" et " Un juif en cavale"): la verve. A mon humble avis, cette histoire passionnelle est moins aboutie car moins personnelle et Laurent Sagalovitsch a besoin "d'y mettre du sien pour être très bon...On le sent un peu s'appliquer à écrire un livre" et il y a moins de naturel dans son écriture. L'atmosphère générale du livre est un peu pesante, bien énigmatique voire presque froide; il n'y a aucun dialoque, chaque personnage campe ses positions raconte son histoire... Il y a un excès de sérieux dans l'écriture ( mais vu le thème, c'est bien normal), excès de sérieux inhabituel qu'on retrouvera mieux contrebalancé dans la suite de l'oeuvre de l'auteur grâce à une verve bien plus fournie et un humour à couper au couteau. (euh...ça va comme métaphore, ça?).
Dade City...pas mal, mais M. Laurent Sagalovitsch a fait largement mieux !
christineb le 15-09-2013 à 22:22:10 # (site)
Voilà un moment que vous n'avez pas posté d'article: dommage. Bonne semaine.
♥♥♥♥♥
J'ai adoré ce livre poignant qui raconte l'histoire des "gueules cassées", ces soldats de la Grande Guerre qui ont été défigurés, qui n'ont pas de blessure autre que celle du visage.
Notre héros s'appelle Adrien. Lieutenant dans l'infanterie, il reçoit un éclat d'obus en plein visage au tout début de la guerre, est défiguré et hospitalisé au Val-de-Grâce dans un service spécialisé qui n'accueille que les blessés de la face. Il est très gravement touché et a perdu l'usage de la parole et l'odorat. Adrien est le premier à intégrer ce service qui va voir défiler de nombreux hommes (et une femme...) durant la guerre.
Comme pour une incarcération en prison, Adrien va passer 5 ans dans ce service de reclus, n'en ressortant qu'en 1919. Il va se lier d'amitié avec deux autres militaires: Weil et Penanster. Tous les trois, plongés tout d'abord dans une énorme souffrance physique, vont affronter d'autres souffrances bien pires encore: l'isolement (puisqu'ils ne peuvent communiquer), l'acceptation de soi, les innombrables opérations (refonte du palais, du nez, de la bouche...) et leurs échecs, le désespoir des autres (certains hommes se suicident) et encore plus difficilement le regard des autres.
Marc Dugain a écrit quelques phrases admirables pour raconter le quotidien de ces hommes. En voici quelques extraits:
" Les jours se succèdent tous pareils malgré nos efforts pour animer notre petite communauté. Une vie monacale, la souffrance en plus, l'illumination en moins. (...) La première tâche fut d'éliminer de notre champ de conscience tout ce qui pouvait rappeler que notre vie antérieure s'était normalement organisée autour de nos sens. La seconde, de nous interdire toute projection dans un avenir autre que celui des petits progrès quotidiens de mastication et de prononciation."
La difficulté de retrouver un sens à sa vie est particulièrement bien décrite par l'auteur. C'est très émouvant. Chaque homme doit se reconstruire, faire face à la reconnaissance de "glorieux combattant", retrouver une place sociale dans sa famille et un travail. Mais avec un visage qui fait peur, le regard des autres est toujours une blessure, un frein, une marque indélébile.
" Nous n'évoquions jamais l'avenir mais je commençais à y penser. Par petites touches successives. Il s'annonçait aussi douloureux que le passé. Ou plus. Le passé nous avait pris par surprise, comme la foudre sur un arbre tranquille. L'avenir s'approchait à petits pas de vieillard. Le futur immédiat paraissait le plus effrayant."
Marc Dugain nous plonge également dans la réflexion face à la religion. Son ami Penanster est croyant, Weil est juif et Adrien est athé. Leurs avis face à Dieu sont bien différents. Voici ce qu'Adrien pense du croyant Penanster.
" Sa foi me tourmentait. Je ne concevais pas qu'on puisse rendre grâce à la divinité qui nous avait relégués dans cette si pitoyable humanité."
Et puis, petit à petit, chacun va revenir à la vie après des épreuves, des caps à passer pour s'accepter dans cette nouvelle peau, cette différence, ce nouveau visage qu'il est difficile de montrer. A la sortie de l'hôpital, l'amitié est indéfectible entre les trois hommes et Marguerite, la seule "gueule cassée" féminine. Les trois hommes se marient. Les années 30 marquées par la crise vont à contrario de la vie choisie par ces hommes qui profitent, s'amusent, boivent et font le fête.
Et alors que ces "gueules cassées" pensaient ne plus avoir à affronter une guerre, vivant dans une réelle insouciance, ayant enduré les pires souffrances qu'un homme puisse connaître, les Allemands ocupent la France. Adrien voit enfin ceux qui l'ont défiguré...
Ce roman est absolument magnifique. Presque un essai, il est d'un réalisme touchant. Ce n'est pas à proprement parlé un livre sur la première guerre mondiale, il met juste en lumière une conséquence de la guerre en évoquant le contexte de cette époque. Il nous montre à quel point une différence est pointé par le regard des autres et de la société. J'ai passé sous silence l'histoire amoureuse d'Adrien qui intensifie encore un peu plus le côté sensible de ce texte. Pour un premier livre, c'est admirable.
"La chambre des officiers" a obtenu de nombreux prix littéraires et a été porté à l'écran en 2001 (2 Césars).
The niece of Bois le Roi le 30-11-2013 à 08:58:18 #
Maman me l'a conseillé celui-là!il a vraiment l'air captivant!à noter pour une prochain lecture ;-)
Un polar très "Série Noire" à la française, une ambiance un peu vieillotte; à la lecture, des images qu'on se fait en noir et blanc. Transposé à l'écran, on réquisitionnerait Audiard pour les dialogues et Lino Ventura pour le rôle principal.
Tout commence par la description d'une famille (les Salgan) qui attend son chef pour commencer à dîner. Mais au lieu de voir arriver Jérome-Dieudonné Salgan -" ...un imbécile heureux pas plus stupide qu'un autre ni plus méchant. Il est facile, transparent, banal. Typique. Sans intérêt."- ...un gang de tireurs pénètrent dans la maison familiale et "dézinguent" tout le monde. Une vraie boucherie, un carnage... Le pauvre Jérome arrive sur les lieux mais trop tard. Il ne peut que constater les dégâts et la perte de sa famille. Qui a pu commettre ce septuple crime? Qui a "buté" cette famille honorable et leurs meilleurs amis ?
La suite du livre est donc la quête de ce père de famille, à savoir: la vengeance. Pourquoi s'en est-on pris à sa famille? Il ne peut s'agir que d'une erreur...La police suit ça de près, de très près. D'ailleurs, quelle est son implication dans cette tuerie?
Pas le meilleur roman du monde mais bon, ça se tient dans un style très "noir". L'histoire est rythmée, c'est facile à lire. Des phrases courtes pour des descriptions très "ciné" et du vocabulaire argotique bien utilisé pour les dialogues. On sent la patte d'un ancien du cinéma (J.H. Oppel a été assistant pour Tavernier, Polanski et d'autres). Les principaux personnages manquent peut-être un peu de profondeur mais..est-ce qu'on attend ceci en lisant un polar ? Pas forcément.
Un extrait alors...le passage qui décrit l'arrivée du malheureux héros découvrant sa maison entourée par un cordon de policiers et de pompiers.
" Jérome-Dieudonné Salgan s'affole derrière son volant. Il voudrait écraser tous ces cons qui lui barrent le passage. Des voisins en pyjama. D'autres en tenue d'intérieur, tricot de corps et bretelles pendantes sur les fesses. Des bigoudis. Des robes de chambre. Des normaux habillés, les pantoufles aux pieds. Se couchent pas tous avec les poules dans la Cité.
Des uniformes aussi. Beaucoup. Qui s'écartent devant la Mercédès. Se méprennent.
Un gendarme droit devant. Qui ne se méprend pas, lui. Ne cédera pas. Il a des ordres. Un jeunot, mais qui en veut. Ira loin. Si les terroristes ne le mangent pas."
christineb le 22-08-2013 à 21:39:39 # (site)
Je ne suis pas très intéressée par ce genre de roman, j'avoue.
bonne fin de semaine.
Ce livre époustouflant et volumineux raconte la saga de la famille Shangguan durant la deuxième partie du vingtième siècle principalement. La famille Shangguan habite Gaomi, dans la province de Shandong, une province de campagne où a grandi le prestigieux auteur Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012. A noter la drôle de traduction française de 丰乳肥臀 car en chinois, ça donne "Petits pains" ! Certes, c'est moins accrocheur.
Pour la petite histoire, "Mo Yan" , en chinois, signifie: "celui qui ne parle pas". par contre, il écrit beaucoup...le livre est un pavé, pas évident à transporter du salon au lit, du lit à la terrasse et de la terrasse au salon ou bien encore sur la plage, au milieu des affaires de bain...bref. Mais s'il écrit généreusement , Mo Yan écrit aussi très bien. Il faut juste avoir un peu de temps, voire beaucoup de temps pour lire ce livre. Les vacances, justement.
Le roman commence avec la naissance tant attendue du fils de la fratrie Shangguan: Shangguan Jingtong.
En effet, Shangguan Lushi, la maman, a déjà eu sept filles: Shangguan Laidi ("Fais venir le petit frère"), Shangguan Zhaodi ( " Appelle le petit frère"), Shangguan Lingdi ( "Amène le petit frère"), Shangguan Xiangdi ( " Pense au petit frère"), Shangguan Pandi ( " Espère le petit frère"), Shangguan Niandi ( "Songe au petit frère") et Shangguan Qiudi ( " Réclame le petit frère "). La famille est désespérée d'attendre ce fils qui finit par arriver en seconde position lors de la naissance des jumeaux Shangguan Yunu et donc...l'inespéré Shangguan Jingtong. Mais cette dernière naissance, si elle comble au plus haut point la famille, ne fait pas que des heureux puisque Jingtong et sa soeur Yunu sont des...bâtards: le pasteur du village, un missionnaire suédois nommé Montoya est le père des deux enfants.
Nous sommes en 1938 et la période est pour le moins troublée car la Chine est en guerre avec le Japon (1937 - 1945). Les deux camps chinois sont alors alliés : le Guomintang nationaliste et les forces communistes. Cela n'est pas clairement exprimé car tout ce qui est politique est donné à mots couverts (cause: la censure) mais, durant tout le roman, Mo Yan exprime clairement l'opposition et le conflit entre les deux forces politiques, ce qui conduira à la création de Taïwan et de la République Populaire de Chine.
A l'image de sa naissance, à l'image de son pays également, le destin de Jingtong va être tout à fait extraordinaire. Puisque ses "pères" vont rapidement disparaître, Jingtong va être élevé au milieu des femmes, sa mère et ses huit soeurs. L'enfant puis l'homme va alors développer un goût immodéré pour les...seins puisque, unique garçon et par conséquent particulièrement choyé, sa mère va avoir bien des peines à le sevrer.
Et puis, Jingtong va traverser ce demi-siècle en nous contant (puisque c'est lui le narrateur, parfois acteur, parfois spectateur de ses péripéties) les multiples aventures que vont connaître chacune de ses soeurs. Des destins absolument extraordinaires qui vont imager et composer un tableau de la Chine à travers le siècle, cette société passant progressivement et après moult tracas à l'économie capitaliste. Je ne vais pas faire la liste des vies de chacune mais toutes les soeurs Shangguan vont avoir des vies hors du commun et vont donc être le fil conducteur de ce livre, saga familial et fresque politique d'un pays. Le tout, dans un style narratif fort et sans concession (les amours, les guerres, les morts), parfois plein d'une symbolique propre à une autre littérature, une autre culture, offrant ainsi de belles pages de lecture sur une autre époque et sur l'Asie, frôlant parfois avec la fable et utilisant des " images " pour ne pas être trop critique.
Mon seul reproche, mais un livre d'une telle dimension, cela parait logique...c'est la multiplicité des personnages: j'avoue avoir été obligé de prendre des notes pour savoir qui est le fils/ la fille de qui... les Chinois sont aussi très nombreux dans les romans !
Il faut enfin atteindre le point d'orgue du roman, lire et déguster les derniers chapitres qui sont l'édifice même de cette oeuvre et nous la font fermer avec admiration. Mo Yan est un grand écrivain et son livre...un beau et grand livre.
christineb le 15-08-2013 à 10:07:08 # (site)
Votre article me donne bien envie de lire ce livre. merci et bonne journée.
L'histoire se déroule au Texas dans le vieux pénitencier de Green River, énorme geôle d'autrefois où sont enfermés la crème des pires tueurs, violeurs, psychopathes et cinglés de toute l'Amérique. Un lieu conçu pour que l'homme n'y soit jamais tranquille, presque jamais seul, comme si le fait d'être en permanence observé devait le mener à la bonne conduite et à la rédemption. D'où une conception particulière avec la tour centrale de contrôle "panoptique" (concept permettant une vision de tous les détenus sans que eux-mêmes sachent s'ils sont observés ou non) et cette énorme verrière couvrant les 4 bâtiments.
La paix fragile qui y règne est dû à une composition ethnique des groupes de prisonniers: le bloc A est composé de Blancs et de Latinos, le C de Noirs et de Latinos...quant au bloc B qui est appelé "la vallée des coureurs de fond", il est fortement opposé au bloc D où vit la pire racaille d'hommes blancs. Chaque groupe a ses règles, règne en maître sur son domaine, chaque tribu organise ses trafics et a son chef et sa hiérarchie d'hommes de main: Reuben Wilson pour les Noirs, Nev Agry pour les Blancs, chaque ethnie vouant une haine terrible pour l'autre.
Forcément, cet état de cohabitation sans heurts entre les groupes ethniques Blancs et Noirs ne va pas durer. L'auteur au début du roman présente les différents protagonistes qui vont se livrer une guerre sans pitié durant tout le livre. Les personnages sont décrits avec justesse et dureté, de terrifiants et magnifiques portraits et ils n'oublient pas de camper le chef de la prison John Campbell Hobbes -sûrement aussi détraqué que ses détenus-, le capitaine Cletus et certains autres prisonniers dont le dénommé Ray Klein, homme sensible et libérable, docteur officieux de la prison qui bénéficie d'un traitement particulier pour ses bons et loyaux services à l'infirmerie. Une femme? Oui, il y en a une, elle vient de l'extérieur et s'appelle Juliette Devlin, psychiatre judiciaire.
Inutile de donner la raison exacte, le déclencheur qui va lancer l'énorme émeute dans la prison...mais c'est la lutte pour un la possession d'un être, le désir et l'amour qui en est le moteur. Ce qui est certain c'est qu'ensuite, le roman s'installe dans une violence terrible entre les camps déchaînés l'un contre l'autre. Tim Willocks s'en donne à coeur joie! Que de membres arrachés, d'innombrables scènes de bagarre, de tuerie!
Ce roman, une fois le contexte posé et les personnages présentés, n'est qu'un long règlement de comptes à huis clos (2800 détenus quand même...) entre Blacks et Blancs; une chasse à l'homme, une course-poursuite dans les bâtiments, couloirs et cellules du gigantesque pénitencier...et c'est tellement répétitif que c'en est lassant.
Pour le style, il faut reconnaître que Tim Willocks propose de belles envolées, un lyrisme certain quand il faut traiter du bien et du mal, quand la condition de l'homme est abordée. Ou bien encore lorsqu'il y a certaines scènes de combats, de violences entre les hommes, c'est très bien mené, l'emploi d'un vocabulaire de "charretier" par les personnages n'y est pas pour rien et rend bien l'ambiance carcérale où les hommes tels des bêtes sauvages n'ont plus rien à perdre ou à gagner.
Au final, du bon et du moins bon, après une bonne première partie, je me suis un peu ennuyé, lassé d'attendre un dénouement qu'on sait uniquement arriver au terme d'une avalanche de violences extrêmes.
A noter: ce livre est paru en 1995 sous le titre "L'odeur de la haine". C'est le premier roman de Tim Willocks que Sonatine a sorti des tiroirs de l'oubli, profitant du succès de" La religion".
Braine revient de la guerre, traumatisé par un séjour dans un hôpital militaire; on ne sait exactement ce qu'il a vécu et subi lorsqu'il retrouve sa famille sur le quai de la gare on ne sait où: il y a Lily, sa femme et ses deux enfants, Louis un bambin de trois ans et sa soeur présumée, une petite chienne appelée Lucie. Ce sont les retrouvailles et le chien reconnait mieux son "père" que l'enfant.
Braine retrouve ses marques grâce à Lily, "une femme pas chienne du tout", réapprend à conduire sans savoir où il va, à communiquer un peu et se voit proposer de reprendre son travail dans le garage familial, propriété de la belle famille Sligo. C'est décidé lors d'un épique repas avec Arthur "le Président" et Johanna, les parents fortunés de Lily.
Lily et Braine sont si heureux de se retrouver, Lily veille à la récupération de son mari, surveille comme une mère son sommeil.
" Ainsi de suite, les morceaux se recollaient. Il faisait beau.(...) La chose, pour lui, se passait, par exemple, comme pour un myope à l'extrême qui pour la première fois voit, sa vue corrigée par des lunettes." La vie, l'amour, le bonheur, cela ne saurait durer.
Braine reprend des forces et du service pour le compte des automobiles Sligo: mais il sent bien qu'il ne fera pas long feu à l'atelier, préférant, car on lui a laissé le choix, la conduite de la dépanneuse.
Et c'est en intervenant dans la réparation d'une crevaison d'une voiture conduite par une superbe femme toute de jaune vêtue que la vie de Braine va sortir d'un fleuve qu'on pensait tranquille.(... Enfin, pas vraiment, sinon quel ennui!).
Cette femme, Rose Braxton, va alors proposer à Braine de reformer le groupe de jazz dans lequel il jouait du bugle (sorte de petite trompette)...Il y a si longtemps, si longtemps qu'il n'a pas joué avec ses compères et puis Rose qui semble l'avoir connu...mais d'où? Braine se laisse séduire par la proposition et l'instrument qui avait été oublié est ressorti.
" Vous exagérez, je crois, dit Rose Braxton, la musique n'est pas si dangereuse. Le jazz, si, dit-il, c'est toujours risqué de se donner en entier..."
Effectivement, c'est risqué le jazz et les grandes armoires, plus encore peut-être lorsqu'on décide d'y ranger au-dessus certains objets.
Inutile d'en dévoiler plus, la fin tragico-comique vaut le détour, c'est non seulement bien écrit mais bien construit. Une vraie ambiance et quelle drôlerie! Toujours ces courtes phrases descriptives des actions du quotidien, cette manière de situer les personnages dans leurs gestes et attitudes pour nous faire comprendre leurs sentiments, toujours ces questions et dialogues écrits sans repérage formel de ponctuation, ces emplois de temps qui surprennent, -là où on attendrait plutôt un passé simple d'action, il emploie l'imparfait, aussi cette façon (comme Echenoz) d'interpeller le lecteur ou de jouer avec les mots...
" C'est peut-être ça, sa véritable infirmité. L'invalidité qu'il avait rapportée de là-bas. Une incapacité à ne pas aimer."
J'ai vraiment apprécié l'écriture déroutante de Christian Gailly qui m'a surpris et encore séduit; je pense par ailleurs qu'elle doit être bien insupportable ou insignifiante pour certains.
A lire aux éditions de Minuit.
ps: j'écrivais dans une précédente critique que ma précieuse découverte 2013 de lecteur avait été Marc Dugain...j'y adjoins désormais forcément Christian Gailly.
"Fontaineblues", -sympa ce titre, non?- est un polar sorti en 2010. L'histoire se situe principalement en France et notamment à... Fontainebleau. Ville et forêt où j'ai grandi, et forcément c'est attirant de visualiser les lieux décrits par l'auteur dans de nombreux passages.
Pourtant le roman commence en Allemagne à Rostock et pendant toute l'histoire on se demande bien ce qui relie la trame du livre à cette entrée en matière...pourquoi cette introduction? On y revient seulement à la toute fin du livre.
Un médecin appelé Friedrich Scharf, passablement désabusé évoque sa terne vie et les changements politiques du 20ème siècle pour l'ex-Allemagne de l'Est: son mariage à vau-l'eau, sa carrière de médecin toute tracée, la réunification et ses espoirs déçus, la nostalgie du communisme. Rien ne va dans ce "bierstub" où il étanche sa soif. Et puis, soudain, le père de F.Scharf meurt et lui laisse en héritage des documents...qui peuvent faire basculer sa vie et lui faire prendre sa revanche.
A quelques milliers de kilomètres de la mer du Nord, on retrouve l'ex-membre du GIGN Stan Branisky en forêt, lieu qu'il parcourt fréquemment en randonnée avec son ami Marc. Reconverti en libraire dans la ville de Fontainebleau, Stan mène une existence assurément bien plus rangée que celle qu'il vivait auparavant, vivant un amour qu'il a du mal à déclarer à une jeune femme appelée Mariam, originaire d'Afrique.
Tout est mis en place pour l'histoire et pour réduire le grand écart que l'auteur nous propose... Alors subitement, on apprend que Marc est retrouvé suicidé dans son appartement de Bruxelles. Stan est effondré. Que s'est-il passé? Contacté par Laure, la femme de Marc, Stan se rend avec elle à Bruxelles pour constater le décès. La fouille de l'appartement révèle que Marc possédait des images pédophiles ce qui laisse à penser qu'il s'est peut-être enlevé la vie pour ce motif, mais Stan n'y croit pas. D'autant plus que Laure est agressée peu de temps après...
Stan va donc prendre les choses en main et mettre à jour ses convictions: Marc ne s'est sans doute pas suicidé...oui mais, pourquoi? Par qui aurait-il été assassiné?
Voici donc l'intrigue assez convenue de ce polar dont la qualité principale est le rythme soutenu. J'ai quand même eu du mal à trouver le lien entre le commencement du polar et la trame de l'histoire... Et même si l'on peut aussi reprocher à "Fontaineblues" son manque de consistance dû à une multitude d'axes ou de personnages trop succintement abordés, il y a matière à apprécier ce livre, d'autant plus lorsque l'on est originaire de Fontainebleau.
D'autre part, il y a un côté très "roman amateur", peu de surprises nous sont offertes dans le déroulement du livre...on est loin des maîtres du suspense !
En tout cas, un bel hommage pour la forêt de Fontainebleau...!
Encore les éditions de Minuit. Et encore un bon moment de lecture.
La lecture de "Les évadés" m'a fortement surpris (d'autant que je sortais de la lecture de Julien Gracq, au style plutôt dense et "touffu" !) et, interpellé irrésistiblement par un style sans équivalent, j'ai découvert le sourire aux lèvres le facétieux auteur Christian Gailly.
Fan de Jean Echenoz, il ne pouvait en être autrement. Des similitudes entre eux, même si une page d'Echenoz n'équivaut à rien . Inimitable aussi dans ce genre, Monsieur C.Gailly cette fois et donc, encore plus minimaliste on dirait.
L'histoire, tout d'abord: Scott Amundsen (...association des noms des 2 célèbres explorateurs) qui détient les pleins pouvoirs sur la ville portuaire où se situe le roman, ne supporte pas l'idée que le jeune Jérémie Tod tourne autour de sa villa et de sa fille Alix. Cela date d'une vieille histoire appelée "l'histoire Tod". Alors il veut lui faire peur, le corriger mais ça se passe mal lorsqu'il envoie son homme de main. des témoins assistent à la scène et l'un d'entre eux intervient, puis la police. Un couple, les époux Maiden, de simples touristes, vont recueillir Jérémie et le ramener chez lui. A partir de là, on en saura un peu plus sur cette fameuse histoire Tod et sur la suite des opérations qui se terminera par une évasion et un dénouement surprenant. Etonnant scénario à la limite de l'absurde, mais, après tout, pourquoi pas? L'essentiel est de prendre du plaisir et se faire embarquer par l'intrigue et forcément, se faire déborder, envahir par le style.
Pour la forme: des chapitres courts (67 pour 250 pages), mais très denses dans le contenu narratif de l'histoire, l'histoire avance vite, il y a des sauts dans le temps, des changements de lieux, de personnes: à nous lecteur d'en faire le lien. Des phrases très courtes aussi, certaines sans verbe, d'autres sans sujets. Pas forcément facile à lire. Un peu télégraphique parfois. Il faut s'y accoutumer. C'est déroutant.
Parfois, l'auteur s'amuse -c'est forcément délibéré-, à ne pas terminer ses phrases et à laisser au lecteur le soin de le faire. On comprend alors l'essentiel, on termine bien évidemment la phrase dans sa tête et le tour est joué. " ...Elisabeth pivota sur elle-même et se laissa choir dans les bras d'Eva. La même chose se produisit pour Jérémie lorsque. Dans les bras d'Alix il se réfugia lorsque."
Jouer avec les mots et le lecteur, ça aussi, c'est le style de Gailly. Par exemple...à l'entrée d'une chambre...
" Celle-ci (Lucie) frappa, attendit. Elle entendit un murmure vague. Ce pouvait être un Oui. Elle refrappa. Jérémie protesta d'un C'est ouvert. Lucie ouvrit. Ouvrant plus largement elle s'avança. Se retournant elle s'effaça. Tandis qu'elle s'effaçait, reculant le dos à la porte, Alix, elle avançait."
Ou encore, un passage très beau, analyse de la sensation de deux amants, l'analyse d'être amoureux façon Gailly : " A une heure moins le quart on a frappé. Ca aurait pu sonner comme un réveil. Il n'y avait plus rien à réveiller. Tout en lui, tout de la vie ordinaire, règlée selon les heures était déjà. Peut-être pas. Dit comme ça, peut-être pas. C'était plutôt la vie hors de cette chambre, hors de la présence de Liv, hors le fait d'être ensemble qui avait cessé d'exister. Retourner dans l'ordinaire de cette inexistence lui était devenu impensable."
L'auteur s'arrête sur des détails et des choses sans importance. Pour le plaisir et la malice. C'est drôle, parfois.
Les personnages sont assez nombreux, notamment au début, il faut bien comprendre ce qui les unit ou les désunit, savoir qui est qui et, entre eux, c'est parfois un peu théâtral, le texte étant bourré de didascalies qui évoquent leurs regards, leurs attitudes, ce qu'ils pensent. Pour les dialogues, inutile d'en chercher avec la ponctuation habituelle. Ils sont insérés dans le texte et l'on doit s'y habituer (sous peine de fermer le livre, j'imagine, avec une forte irritation). Les personnages s'interpellent, se posent des questions, se renvoient la balle et parfois aussi, C.Gailly évoque les sous-entendus ou les non-sens, les interprétations de chacun ou leurs incompréhensions.
" Allo, Ferguson? Bonjour mon cher. Mathilde va bien? Les enfants aussi? Très bien. Vous allez recevoir un nouveau détenu...Je veux qu'on le soigne. Vous avez compris ce que j'ai dit? J'ai parfaitement compris Monsieur Admunsen." Inutile d'en dire plus, on a compris aussi.
Au final, une lecture qui m'a plu...et je crois que je vais y retourner très bientôt. Gailly, Echenoz presque la même admiration ?
P.S. Anecdotique mais amusant...je crois que j'ai enfin trouvé d'où venait l'inspiration et le style de Kyan Khojandi, créateur de la série Bref. Les fans le reconnaitront sans doute aussi...
" Le regard dur de Louise ne quittait pas Théo. Théo regardait Louise. Chick, à côté de Théo, voyait que Louise ne cessait pas de regarder Théo et que Théo fixait très intensément Louise. Anderson regardait le piano. Il se tenait debout près de l'issue". Assez ressemblant, non?
christineb le 30-06-2013 à 22:06:17 # (site)
Gailly? J'ai regardé mes archives, ce nom me dit quelque chose mais je n'ai rien retrouvé.Je note donc ce titre. Bonne semaine et bonne lecture.
Avec ce récit, on atteint la littérature, l'écriture d'extrême qualité, voire même de complexité. C'est un peu ardu.... J'ai cru me replonger dans un classique, type d'écrit que j'avais abandonné depuis fort longtemps. Sorti en 1958, ce roman traite de la seconde guerre mondiale, mais d'une façon très originale, puisque de la guerre finalement on ne s'en fait qu'une idée, une projection, ce n'est qu'à l'extrême fin du livre qu'on y est confronté: la réalité prend place.
Le balcon en forêt est l'histoire d'une maison forte (composée d'une cabane et d'un blockhaus) tenu par 4 soldats sur la frontière franco-belge, juste à quelque hectomètres des rives de la Meuse. La vie en forêt est une longue attente et les hommes se sentent bien éloignés du monde et des combats. " on se sentait dans ce désert d'arbres haut juché au-dessus de la Meuse comme sur un toit dont on eût retiré l'échelle."
Grange, le lieutenant dont on suit principalement la vie en forêt et qui est responsable de la position, s'amourache d'une jeune femme veuve (Mona) vivant dans le hameau voisin. Des hommes décédés au combat ou partis sur le front, d'autres les remplacent auprès de leurs douces. Sur le "Toit", les soldats (Gourcuff, Hervouet et Olivon) coupent du bois, entretiennent le matériel, boivent du vin et vont aux nouvelles dans le village de Moriarmé. Ils attendent l'ennemi.
Julien Gracq fait vivre la vie en forêt comme un peintre impressionniste. Au rythme des saisons, on vit l'hiver: " Le jour baissait déjà, les nuages glissaient au ras du Toit, accrochant parfois les bosses du plateau qui diparaissaient un moment, roulées dans la brumaille trainante; c'était l'annonce d'une de ces longues pluies qui essoraient pendant des journées entières sur le Toit les buées molles".
Grange, lui, adore cette vie en forêt, reclus. Il rêve, il laisse ses pensées divaguer et vibre avec la nature environnante : " ...il était libre, seul maïtre à son bord dans cette maisonnette de Mère Grand perdue au fond de la forêt. Derrière sa porte, le remue-ménage placide d'une ferme qui s'éveille ajoutait à son bonheur; il l'engrenait dans une longue habitude". Ou encore : " Il aimait lire dans son lit, par les longues soirées d'hiver, au bruit des respirations sonores du carré qui traversait la cloison mince; (...) il se plaisait à sentir la maison forte autour de lui dériver à travers la nuit en ordre de marche, étanche, toute close sur elle-même, comme un navire ferme ses écoutilles."
Les rapports à la hiérarchie ne sont pas fréquents, ni trop tendus. Varin, le capitaine qui loge dans le village le plus proche et dont les 4 soldats dépendent, semble fort surpris lorsqu'il apprend le refus de Grange de se se faire muter pour une compagnie à l'arrière, moins en danger que sur le front. Puis, un lieutenant qui tombe en panne près du fortin et que Grange dépanne alors visite leurs installations et le prévient de cette façon :" ...en somme, vous êtes là bien au frais. Vous pouvez toujours prier le Seigneur qu'ils ne viennent pas." On sent la guerre et les Allemands arriver inexorablement. Et l'on comprend que Grange restera jusqu'au bout.
Le 10 mai 1940, l'attaque est donnée. Les soldats n'y croient pas vraiment lorsqu'ils entendent les premiers ronronnements de l'aviation et des chars. "De l'horizon, une nouvelle nappe de vrombissements commença à sourdre, à s'élargir, à monter sans hâte vers sa culmination paisible, à coulisser majestueusement sur le ciel (...) Ils se sentirent soudain transis, mais ils ne songeaient pas à fermer les fenêtres..." Ces hommes dans les bois, habitués au calme de la nature, ne semblent pas comprendre que la guerre est à leurs portes. L'auteur nous dit alors: " Mais il fut clair assez vite que la journée ne se remettrait pas de sitôt dans ses gonds".
Il faudra donc lire le livre pour connaître le destin de ces 4 soldats et plus particulièrement de Grange, leur chef. Un récit particulièrement bien écrit, très littéraire (ce roman a été présenté à l'agrégation de Lettres Modernes!) voire trop, pour le simple lecteur que je suis, avide des plaisirs simples de l'écrit. Comme je l'écrivais au début de la critique, c'est un peu difficile. La nature est omniprésente, c'est très descriptif, le vocabulaire est très recherché, parfois même suranné...en tout cas, c'est très fort.
A lire donc...mais attention de penser à s'isoler pour rester bien concentré et apte à capter toutes ces phrases, tous ces mots qui font la richesse de la langue française !
christineb le 23-06-2013 à 09:49:53 # (site)
Je découvre votre blog avec plaisir. J'aime beaucoup l'écriture de Julien Gracq même si elle n'est pas facile. J'ai aussi consulté votre rubrique roman asiatique en vue d'un prochain voyage: j'aime me plonger avant dans l'ambiance d'un pays par le biais de la littérature avant de partir.
Bonnes lectures et bon dimanche
Un nouveau roman de Marc Dugain qui sera ma découverte littéraire de l'année 2013. Il m'est rare d'enchaîner avec le même auteur, mais la diversité des sujets traités dans les romans de Dugain ainsi qu'un style d'écriture qui me plait expliquent cela.
Cette fois, avec "L'insomnie des étoiles", Marc Dugain situe son roman à la fin de la guerre, nous sommes en 1945, quelque part en Allemagne, dans une province occupée par les troupes françaises. Le capitaine Louyre va alors mener une enquête dans cette ville de province suite à l'arrestation d'une jeune allemande de 15 ans appelée Maria Richter.
Cette adolescente, qui communique peu et fait l'effet d'une sauvageonne, a vécu les dernières années de la guerre recluse dans la ferme familiale, n'ayant seulement comme attache avec son passé des lettres que son père a envoyé du front russe. Ces lettres qu'elle n'a pas lues et auxquelles elle tient, vont être en quelque sorte le "noeud" du roman puisqu'elles renferment semble-t-il des informations capitales.
Le capitaine Louyre va lire ces lettres jamais ouvertes par Maria et va découvrir un véritable mystère autour de cette bourgade de la campagne allemande, un secret dont personne n'a envie de parler alors que les Allemands ont désormais capitulé.
Comme à son habitude, j'ai trouvé l'écriture de Marc Dugain très agréable à lire, avec parfois, comme c'était aussi le cas dans "Avenue des géants", des montées d'adrénaline, des pointes d'intensité notamment dans les dialogues. Il y a dans la confrontation entre Louyre et ...ses interlocuteurs (les notables responsables allemands) des réparties d'une cinglante froideur. Le secret est lourd à porter, la vérité difficile à avouer Page 128 "
- Bien, bien. Je vois qu'il n'est pas encore l'heure de parler de son plein gré. Je ne suis pas d'humeur à pendre ceux qui me résistent. Ce n'est pas l'idée que je me fais de la civilisation. Mais, bien sûr, comme tout être humain, ma patience a des limites. Tant mieux pour vous, je ne les connais pas encore.
- Pardonnez-moi capitaine, mais serait-il impoli de vous demander ce que vous faisiez avant la guerre?
- (...) J'étais astronome. J'allais à la rencontre de Dieu. Pas le Dieu des hommes, l'autre.
Et puis, les traumatismes de la guerre sont particulièrement bien rendus, le climat de fin de guerre est pesant, l'occupant français en terre allemande n'est pas le bienvenu, l'heure de régler certains comptes entre les deux peuples a sonné.
Relevé page 101: " Si on haïssait le boche, il n'en allait pas de même pour l'Allemand. On l'admirait même secrètement, on lui jalousait un peu ce qui nous faisait défaut, cet esprit systématique et industriel,car il y avait dans ce peuple un peu du meilleur de nous-mêmes, de cette radicalité évaporée dans un siècle et demi de gauloiseries et une franchise surprenante, qui l'autorisait à mener ses haines jusqu'à ses extrémités sans connaître le remords, cette pourriture de la conviction " ! Jolie phrase et tout à fait d'actualité, non?
Au terme d'une enquête et en marge du rétablissement de Maria Richter, le capitaine Louyre fera éclore la vérité, une sinistre vérité, un pan de cette guerre et de cette idéologie nazie...mais je n'en dirai pas plus.
A lire et à savourer, même si la fin est un peu terne (mais le contexte et le sujet le sont aussi!) et n'a pas le rebond, la péripétie ultime, le dernier clin d'oeil qui le ferait être un excellent livre.
♥♥
Cela faisait plusieurs dizaines d'années que je n'avais pas lu Le Poulpe, je crois d'ailleurs qu'à l'époque (ah! la jeunesse...), j'avais lu le premier opus "La petite écuyère a cafté" car je piochais mes lectures dans la Série Noire; j'aimais bien les auteurs français de polar :Jean-Bernard Pouy, les disparus Thierry Jonquet et Jean-Claude Izzo.
L'idée de construire une série par différents auteurs avec toujours un personnage central atypique et des caractères récurrents obligatoires est vraiment original. Une sorte d'exercices de style à la Queneau, mais en polar. Et aujourd'hui plus de 200 livres du Poulpe ont été écrits par plusieurs dizaines d'écrivains confirmés ou non. ( et du coup, la qualité est très inégale.)
Que doit-on trouver obligatoirement dans une aventure "poulpeuse" ? Précisons que notre animal est, comme l'indique les éditions Baleine en 4ème de couverture, "un personnage libre, curieux, contemporain qui aura 40 ans en l'an 2000 (...) qui va fouiller à son propre compte dans les failles et les désordres apparents du quotidien". Du coup, cela laisse un champ de manoeuvres énorme à ceux qui se lancent dans le récit d'une aventure du Poulpe. Voici les contraintes d'écriture:
Dans le chapitre 1, on découvre donc la victime, un certain Eric Winkmann, trader de son état et qui va disparaître rapidement de l'histoire. Et c'est bien au "Pied de porc", dans le chapitre 2 que le Poulpe va nous présenter l'affaire en cause en lisant son journal au comptoir. En réalité une double affaire, un vrai fait divers, car, outre l'assassinat du susnommé trader, il se trouve que l'on prend connaissance de la faillite de la banque suisse Redoux, "institution genevoise aussi mystérieuse que son fondateur" et qu'un peu plus loin, dans la lecture du journal, Le Poulpe découvre cet article:
ORPHELINS A LA RUE : HYGIENE OU SPECULATION ?
Cela se passe dans le Vaucluse, au Plan-des-Magnades dans le Lubéron, et c'est là que Le Poulpe va se rendre pour comprendre ce qui motive le maire Jean-Pierre Engelhardt à procéder à l'expulsion de l'association Don Bosco et au relogement de cette cinquantaine d'enfants orphelins.
Le Poulpe croit donc partir en vacances dans le sud, profiter des terrasses provençales et déguster ses nombreuses bières ...mais rapidement les faits vont lui montrer qu'elles ne vont pas être de tout repos( les vacances... pas les bières !): violences, course-poursuite en 4x4, découverte d'atrocités, explosions à la dynamite, crime etc...Une sombre histoire de nazis nostalgiques du Troisième Reich voulant s'établir au milieu de la lavande et des oliviers...pittoresque non?
Bon, j'ai trouvé cette histoire un peu...tirée par les cheveux, un peu rafistolée, pas évident de trouver en 200 pages une crédibilité et un lien entre le monde de la finance, cette histoire d'enfants orphelins et les adorateurs d'Hitler !!! Tout est un peu survolé, les scènes descriptives sont approximatives ou mal rendues, les détails concernant le monde de la finance et ses mécanismes par contre trop précis à mon sens. Et puis, dernière critique..ça a un peu vieilli...une impression de lire un San Antoni des années 60.exemple: pour faire uen recherche sur un personnage, le Poulpe se rend à la bibliothèque du XIXème arrondissement. C'est vrai qu'en 1999 (date de parution du livre), Internet balbutiaient et surtout Wikipédia n'existaient pas...
Quant au personnage du Poulpe, il est bien sympa, il tombe même amoureux, héros toujours en action et avec lui, ça cartonne dans la binouse et c'est le festival des bières : l'auteur s'est amusé à le faire boire (j'ai recensé!) pas moins de 10 bières différentes, et ça va de la Heineken à la Leffe en passant par la Hoegaarden, la Kro, et des bières moins connues comme la Thomas Hardy ou la Berliner Kindl...!
Quid de la référence littéraire? Et bien, si l'histoire est plutôt orientée au sud en se situant en Provence et si l'est est à l'honneur avec des représentants germains, c'est à Shakespeare et au Roi Lear d'être la référence du roman.
Pour conclure, disons que c'est un polar qui n'est pas exceptionnel mais qui a l'avantage d'être vite lu. C'est très "franchouillard" et c'est sans doute la marque de la série du Poulpe. Maintenant, on peut réellement penser qu'il doit y avoir des épisodes plus réussis que celui-ci.
« Ainsi commença la vie de Simon Sagalovitsch en terre d’Israël. »
Après avoir réussi à s’extirper de France et de l’ambassade d’Israël à Paris, nous retrouvons notre délicieux anti-héros à Tel-Aviv avec sa batave Monika et ça vaut son pesant de cacahouettes et de falafels réunis. Réussir son installation en Terre Sainte, tel est le pari de ce troisième hébraïco-comico volet : « Loin de quoi » se situait à Vancouver, « La métaphysique du hors-jeu » à Paris et la finalité en Terre promise, promise à des envolées de plus en plus lyriques et grandiloquentes, quoi de plus naturel pour le revendiquant juif Sagalovitsch paraissant toujours aux éditions Actes Sud de façon spasmodique et attendue (j'essaie d'écrire comme lui...mais c'est impossible...et ce n'est pourtant pas un manque de culture footballistique qui est à mettre en cause, bien que je me sois écarté de ce sport en vieillissant mais peu importe, ce n'est pas le sujet...). Voilà c'est un peu comme ça.
Lire du Sagalovitsch, c’est s’éloigner des écritures traditionnelles, des formes attendues, c’est comme retrouver un copain qui nous raconte son histoire et ses états d'âme, se parlant à lui-même comme à notre oreille et notre esprit sur le qui-vive, se délectant des longues diatribes, et nous ne manquons pas, nous, lecteurs, de revenir en arrière au début de paragraphe monolithique, pour les mieux savourer (!), pour en apprécier les constructions à l’envi, cherchant parfois le sujet et le début de la phrase, suite à une succession d'appositions et dautres propositions coordonnées, juxtaposées... et c'est un vrai moment de plaisir ! Je ne connais pas d’auteur de ce calibre, mettant autant la qualité de son vocabulaire, ses facilités et sa faculté d’écriture au service de la farce et de la réflexion réunies.
Revenons à notre brebis égarée.
Simon découvre Israël avec sa Monika, sa troublante batave débordant d'amour et de désirs, je dis troublante car Simon l'a décrite ainsi" ...Chercher à comprendre comment fonctionnait Monika c'était comme s'essayer à lire un traité de philosophie allemande traduit en mandarin par un rabbin islandais!".
Trouvant alors un pied-à-terre à Tel-Aviv, l'installation dans la maison proposée ne manque pas de piquant: "...un officiel à l'aspect martial mais amical a sorti de sa poche deux passeports luisants qu'il a balancés sur la table comme si c'était deux rations de survie, nous a salués d'un geste de la main et avant de nous planter là, nous a juste déclaré: voilà c'est chez vous maintenant, le loyer est payé pour six mois, la machine à laver ne marche pas, le plombier viendra dans la semaine, c'est un escroc , ne le payez pas, il a l'habitude, le four est à chaleur tournante, la chasse d'eau fonctionne par intermittence, internet est branché sur la borne wifi du garagiste, vous recevez les chaînes du cable, pour voir la première league c'est la chaîne 86, pour le Calcio le 78, la Liga la 85, la ligue 1 il n'y a pas, trop emmerdant, pas assez de buts, vos voisins sont en vacances ou ils sont morts, l'air climatisé se met en marche automatiquement..." Voilà un exemple du style dithyrambique, emphatique, pléthorique Saga... Inimitable.
On lui fait des ponts d'or pour s'installer, découvrir Israël, sans doute son généreux frère Daniel n'y est pas étranger et lui a tout prévu, tout organisé, et même un compte en banque : " Quand je m'échappai de la banque un quart d'heure plus tard, je disposais d'une carte Visa gold de deux mille shekels en liquide, d'un carnet de chèques, d'une paire de stylos Montblanc à l'effigie de la banque, d'une bouteille de chivas, de deux tickets pour assister à la première de la "La flûte enchantée", d'un masque à gaz dernier cri, d'un parapluie, d'un bob, d'une boîte de cigarillos cubains, d'une clef USB, d'un drapeau israélien, du numéro personnel de M.Gozan, mon nouveau banquier, surtout n'hésitez pas M.Sagalovitsch, je me ferais un plaisir de répondre à vos appels."
C'est drolatique, énergique, une écriture en fusion. Un peu plus loin, Simon visite Tel-Aviv et commande un café en terrasse. Alors que la splendide serveuse navigue entre les tables "... j'entendis le glapissement étranglé d'une femme que d'instinct, sans même besoin de fournir un quelconque effort intellectuel, je rangeai dans la catégorie Simone Boutboul, vacances d'hiver à Courchevel, vacances de Pâques à Deauville, vacances d'été à Juan-les-Pins, hululant, avec la même discrétion feutrée qu'un chauffeur de stade demandant au public d'ovationner l'entrée des joueurs, un tonitruant, SIMON JE T'EN PRIE, QU'EST-CE QU'IL DEVIENT CELUI-LA IL EST TOUJOURS AVEC SA FEMME OU IL A DIVORCE, PARCE QUE MOI ATTENDS QUE JE ME SOUVIENNE...(mettez-y le ton et ça continue pendant six lignes)... Je savais que si je me retournais, mes yeux se retrouveraient confontés au spectacle obscène d'un carnaval doré d'étoiles de David aussi discrètes que la Vierge Marie d'un lupanar napolitain..."
Mais il n'y a pas que de l'humour dans l'écriture Saga, il y a aussi des passages que j'ai trouvés très beaux, notamment page 97, lorsque Simon, dans une attitude très contemplative, se promène en bord de mer et assiste à un coucher de soleil en compagnie de chats " Après être restés quelques minutes immobiles, des chats sortis des buissons alentour, de leur pas nonchalant, avec ce haussement cadencé de leurs épaules rythmant leur allure féline, venaient me tenir compagnie. Faméliques, de la couleur du désert, dotés d'yeux marron fauves, ils s'installaient sur leur postérieur, avec la noble et respectable attitude d'un gardien de phare surveillant le mouvement des vagues à la recherche d'une embarcation à la dérive." Saga au service de la béatitude. Zen, et pour une fois pas besoin de Témesta.
Simon Sagalovitsch découvre Israël, tisse des liens d'amitié avec l'épicier arabe du coin -dealer spécialisé dans l'hoummous- et pendant ce temps là, Monika perfectionne son français. Et puis, alors que Simon commence à tourner en rond en Terre promise, un dénommé Juan va lui proposer, vu sa grande culture footballistique -une culture toujours très verte, très "chaudronne" car l'auteur est un fan nostalgique des Verts- de constituer et de prendre en main une équipe de football composée uniquement de francophones ! Voici Simon qui prend en main le destin de l'ASFADI ( Association Sportive des Français Apatrides Déportés en Israël) ! La composition de l'équipe vaut le détour page 154...
Et si les tribulations footballistiques de Simon combinés à une vie maritale avec la pétillante Monika sont donc à découvrir, l'intérêt de ce roman réside dans cette dernière errance, la quête identitaire de notre héros (...ou bien de l'auteur, un évident côté autobiographique). J'ai trouvé très belle la page 158, la confession d'un...juif en cavale, finalement un homme tout simplement: " Je serais partout chez moi sur cette terre et nulle part je ne me sentirais à la maison. Déraciné volontaire, je ne revendiquerais aucun territoire à exploiter, aucun lopin de terre à labourer, aucun jardin à entretenir.(...) Je n'appartiendrais à aucune communauté autre que la mienne, celle que je n'ai pas choisie mais qui fondait mon identité, celle d'un juif en cavale égaré dans les coursives compliquées de l'histoire(...). Le terme de frontière m'était à jamais étranger." Et j'adore cette dernière phrase...
Alternant donc le sérieux et le comique de la situation, j'ai trouvé le troisième opus des aventures de Simon Sagalovitsch franchement très réussi. La fin du livre avec la visite de Massada est toute métaphorique et lyrique mais il faut bien finir en fanfare une trilogie !!! Pour Simon, pour qui la vie en Terre Sainte n'est franchement pas un long fleuve tranquille -en territoire désertique, on ne pouvait s'attendre à autre chose-, rien de moins que "Le génie juif à son apogée". Et nous abandonnons alors avec regrets notre héros Simon que Laurent ne ressuscitera sans doute pas.
Mais un article daté du 29 mai 2013 de l'auteur sur son blog nous laisse espérer le meilleur à venir. A lire donc, en préambule du prochain livre
" Quand sonne l'heure de commencer un nouveau roman"
http://blog.slate.fr/sagalovitsch/
Commentaires
christineb le 18-11-2013 à 21:02:02 # (site)
je note le titre. Merci!