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Titre du blog : Le pivot d'Héricy
Auteur : laugo2
Date de création : 12-04-2009
 
posté le 06-06-2013 à 19:09:20

Un juif en cavale de Laurent Sagalovitsch

                       

  « Ainsi commença la vie de Simon Sagalovitsch en terre d’Israël. »

   Après avoir réussi à s’extirper de France et de l’ambassade d’Israël à Paris, nous retrouvons notre délicieux anti-héros à Tel-Aviv avec sa batave Monika et ça vaut son pesant de cacahouettes et de falafels réunis. Réussir son installation en Terre Sainte, tel est le pari de ce troisième hébraïco-comico volet : « Loin de quoi » se situait à Vancouver, « La métaphysique du hors-jeu » à Paris et la finalité en Terre promise, promise à des envolées de plus en plus lyriques et grandiloquentes, quoi de plus naturel pour le revendiquant juif Sagalovitsch paraissant toujours aux éditions Actes Sud de façon spasmodique et attendue (j'essaie d'écrire comme lui...mais c'est impossible...et ce n'est pourtant pas un manque de culture footballistique qui est à mettre en cause, bien que je me sois écarté de ce sport en vieillissant mais peu importe, ce n'est pas le sujet...). Voilà c'est un peu comme ça.

  Lire du Sagalovitsch, c’est s’éloigner des écritures traditionnelles, des formes attendues, c’est comme retrouver un copain qui nous raconte son histoire et ses états d'âme, se parlant à lui-même comme à notre oreille et notre esprit sur le qui-vive, se délectant des longues diatribes, et nous ne manquons pas, nous, lecteurs, de revenir en arrière au début de paragraphe monolithique, pour les mieux savourer (!), pour en apprécier les constructions à l’envi, cherchant parfois le sujet et le début de la phrase, suite à une succession d'appositions et dautres propositions coordonnées, juxtaposées... et c'est un vrai moment de plaisir ! Je ne connais pas d’auteur de ce calibre, mettant autant la qualité de son vocabulaire, ses facilités et sa faculté d’écriture au service de la farce et de la réflexion réunies.

  Revenons à notre brebis égarée.

  Simon découvre Israël avec sa Monika, sa troublante batave débordant d'amour et de désirs, je dis troublante car Simon l'a décrite ainsi" ...Chercher à comprendre comment fonctionnait Monika c'était comme s'essayer à lire un traité de philosophie allemande traduit en mandarin par un rabbin islandais!".

  Trouvant alors un pied-à-terre à Tel-Aviv, l'installation dans la maison proposée ne manque pas de piquant: "...un officiel à l'aspect martial mais amical a sorti de sa poche deux passeports luisants qu'il a balancés sur la table comme si c'était deux rations de survie, nous a salués d'un geste de la main et avant de nous planter là, nous a juste déclaré: voilà c'est chez vous maintenant, le loyer est payé pour six mois, la machine à laver ne marche pas, le plombier viendra dans la semaine, c'est un escroc , ne le payez pas, il a l'habitude, le four est à chaleur tournante, la chasse d'eau fonctionne par intermittence, internet est branché sur la borne wifi du garagiste, vous recevez les chaînes du cable, pour voir la première league c'est la chaîne 86, pour le Calcio le 78, la Liga la 85, la ligue 1 il n'y a pas, trop emmerdant, pas assez de buts, vos voisins sont en vacances ou ils sont morts, l'air climatisé se met en marche automatiquement..." Voilà un exemple du style dithyrambique, emphatique, pléthorique Saga... Inimitable.

  On lui fait des ponts d'or pour s'installer, découvrir Israël, sans doute son généreux frère Daniel n'y est pas étranger et lui a tout prévu, tout organisé, et même un compte en banque : " Quand je m'échappai de la banque un quart d'heure plus tard, je disposais d'une carte Visa gold de deux mille shekels en liquide, d'un carnet de chèques, d'une paire de stylos Montblanc à l'effigie de la banque, d'une bouteille de chivas, de deux tickets pour assister à la première de la "La flûte enchantée", d'un masque à gaz dernier cri, d'un parapluie, d'un bob, d'une boîte de cigarillos cubains, d'une clef USB, d'un drapeau israélien, du numéro personnel de M.Gozan, mon nouveau banquier, surtout n'hésitez pas M.Sagalovitsch, je me ferais un plaisir de répondre à vos appels."

  C'est drolatique, énergique, une écriture en fusion. Un peu plus loin, Simon visite Tel-Aviv et commande un café en terrasse. Alors que la splendide serveuse navigue entre les tables "... j'entendis le glapissement étranglé d'une femme que d'instinct, sans même besoin de fournir un quelconque effort intellectuel, je rangeai dans la catégorie Simone Boutboul, vacances d'hiver à Courchevel, vacances de Pâques à Deauville, vacances d'été à Juan-les-Pins, hululant, avec la même discrétion feutrée qu'un chauffeur de stade demandant au public d'ovationner l'entrée des joueurs, un tonitruant, SIMON JE T'EN PRIE, QU'EST-CE QU'IL DEVIENT CELUI-LA IL EST TOUJOURS AVEC SA FEMME OU IL A DIVORCE, PARCE QUE MOI ATTENDS QUE JE ME SOUVIENNE...(mettez-y le ton et ça continue pendant six lignes)... Je savais que si je me retournais, mes yeux se retrouveraient confontés au spectacle obscène d'un carnaval doré d'étoiles de David aussi discrètes que la Vierge Marie d'un lupanar napolitain..."

  Mais il n'y a pas que de l'humour dans l'écriture Saga, il y a aussi des passages que j'ai trouvés très beaux, notamment page 97, lorsque Simon, dans une attitude très contemplative, se promène en bord de mer et assiste à un coucher de soleil en compagnie de chats " Après être restés quelques minutes immobiles, des chats sortis des buissons alentour, de leur pas nonchalant, avec ce haussement cadencé de leurs épaules rythmant leur allure féline, venaient me tenir compagnie. Faméliques, de la couleur du désert, dotés d'yeux marron fauves, ils s'installaient sur leur postérieur, avec la noble et respectable attitude d'un gardien de phare surveillant le mouvement des vagues à la recherche d'une embarcation à la dérive." Saga au service de la béatitude. Zen, et pour une fois pas besoin de Témesta.

 Simon Sagalovitsch découvre Israël, tisse des liens d'amitié avec l'épicier arabe du coin -dealer spécialisé dans l'hoummous-  et pendant ce temps là, Monika perfectionne son français. Et puis, alors que Simon commence à tourner en rond en Terre promise, un dénommé Juan va lui proposer, vu sa grande culture footballistique -une culture toujours très verte, très "chaudronne" car  l'auteur est un fan nostalgique des Verts- de constituer et de prendre en main une équipe de football composée uniquement de francophones ! Voici Simon qui prend en main le destin de l'ASFADI ( Association Sportive des Français Apatrides Déportés en Israël) ! La composition de l'équipe vaut le détour page 154...

  Et si les tribulations footballistiques de Simon combinés à une vie maritale avec la pétillante Monika sont donc à découvrir, l'intérêt de ce roman réside dans cette dernière errance, la quête identitaire de notre héros (...ou bien de l'auteur, un évident côté autobiographique). J'ai trouvé très belle la page 158, la confession d'un...juif en cavale, finalement un homme tout simplement: " Je serais partout chez moi sur cette terre et nulle part je ne me sentirais à la maison. Déraciné volontaire, je ne revendiquerais aucun territoire à exploiter, aucun lopin de terre à labourer, aucun jardin à entretenir.(...) Je n'appartiendrais à aucune communauté autre que la mienne, celle que je n'ai pas choisie mais qui fondait mon identité, celle d'un juif en cavale égaré dans les coursives compliquées de l'histoire(...). Le terme de frontière m'était à jamais étranger." Et j'adore cette dernière phrase...

  Alternant donc le sérieux et le comique de la situation, j'ai trouvé le troisième opus des aventures de Simon Sagalovitsch franchement très réussi. La fin du livre avec la visite de Massada est toute métaphorique et lyrique mais il faut bien finir en fanfare une trilogie !!! Pour Simon, pour qui la vie en Terre Sainte n'est franchement pas un long fleuve tranquille -en territoire désertique, on ne pouvait s'attendre à autre chose-, rien de moins que "Le génie juif à son apogée". Et nous abandonnons alors avec regrets notre héros Simon que Laurent ne ressuscitera sans doute pas.

 

Mais un article daté du 29 mai 2013 de l'auteur sur son blog nous laisse espérer le meilleur à venir. A lire donc, en préambule du prochain livre

" Quand sonne l'heure de commencer un nouveau roman"

 

 

  http://blog.slate.fr/sagalovitsch/