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J'ai adoré ce livre poignant qui raconte l'histoire des "gueules cassées", ces soldats de la Grande Guerre qui ont été défigurés, qui n'ont pas de blessure autre que celle du visage.
Notre héros s'appelle Adrien. Lieutenant dans l'infanterie, il reçoit un éclat d'obus en plein visage au tout début de la guerre, est défiguré et hospitalisé au Val-de-Grâce dans un service spécialisé qui n'accueille que les blessés de la face. Il est très gravement touché et a perdu l'usage de la parole et l'odorat. Adrien est le premier à intégrer ce service qui va voir défiler de nombreux hommes (et une femme...) durant la guerre.
Comme pour une incarcération en prison, Adrien va passer 5 ans dans ce service de reclus, n'en ressortant qu'en 1919. Il va se lier d'amitié avec deux autres militaires: Weil et Penanster. Tous les trois, plongés tout d'abord dans une énorme souffrance physique, vont affronter d'autres souffrances bien pires encore: l'isolement (puisqu'ils ne peuvent communiquer), l'acceptation de soi, les innombrables opérations (refonte du palais, du nez, de la bouche...) et leurs échecs, le désespoir des autres (certains hommes se suicident) et encore plus difficilement le regard des autres.
Marc Dugain a écrit quelques phrases admirables pour raconter le quotidien de ces hommes. En voici quelques extraits:
" Les jours se succèdent tous pareils malgré nos efforts pour animer notre petite communauté. Une vie monacale, la souffrance en plus, l'illumination en moins. (...) La première tâche fut d'éliminer de notre champ de conscience tout ce qui pouvait rappeler que notre vie antérieure s'était normalement organisée autour de nos sens. La seconde, de nous interdire toute projection dans un avenir autre que celui des petits progrès quotidiens de mastication et de prononciation."
La difficulté de retrouver un sens à sa vie est particulièrement bien décrite par l'auteur. C'est très émouvant. Chaque homme doit se reconstruire, faire face à la reconnaissance de "glorieux combattant", retrouver une place sociale dans sa famille et un travail. Mais avec un visage qui fait peur, le regard des autres est toujours une blessure, un frein, une marque indélébile.
" Nous n'évoquions jamais l'avenir mais je commençais à y penser. Par petites touches successives. Il s'annonçait aussi douloureux que le passé. Ou plus. Le passé nous avait pris par surprise, comme la foudre sur un arbre tranquille. L'avenir s'approchait à petits pas de vieillard. Le futur immédiat paraissait le plus effrayant."
Marc Dugain nous plonge également dans la réflexion face à la religion. Son ami Penanster est croyant, Weil est juif et Adrien est athé. Leurs avis face à Dieu sont bien différents. Voici ce qu'Adrien pense du croyant Penanster.
" Sa foi me tourmentait. Je ne concevais pas qu'on puisse rendre grâce à la divinité qui nous avait relégués dans cette si pitoyable humanité."
Et puis, petit à petit, chacun va revenir à la vie après des épreuves, des caps à passer pour s'accepter dans cette nouvelle peau, cette différence, ce nouveau visage qu'il est difficile de montrer. A la sortie de l'hôpital, l'amitié est indéfectible entre les trois hommes et Marguerite, la seule "gueule cassée" féminine. Les trois hommes se marient. Les années 30 marquées par la crise vont à contrario de la vie choisie par ces hommes qui profitent, s'amusent, boivent et font le fête.
Et alors que ces "gueules cassées" pensaient ne plus avoir à affronter une guerre, vivant dans une réelle insouciance, ayant enduré les pires souffrances qu'un homme puisse connaître, les Allemands ocupent la France. Adrien voit enfin ceux qui l'ont défiguré...
Ce roman est absolument magnifique. Presque un essai, il est d'un réalisme touchant. Ce n'est pas à proprement parlé un livre sur la première guerre mondiale, il met juste en lumière une conséquence de la guerre en évoquant le contexte de cette époque. Il nous montre à quel point une différence est pointé par le regard des autres et de la société. J'ai passé sous silence l'histoire amoureuse d'Adrien qui intensifie encore un peu plus le côté sensible de ce texte. Pour un premier livre, c'est admirable.
"La chambre des officiers" a obtenu de nombreux prix littéraires et a été porté à l'écran en 2001 (2 Césars).
Commentaires
Maman me l'a conseillé celui-là!il a vraiment l'air captivant!à noter pour une prochain lecture ;-)