Encore les éditions de Minuit. Et encore un bon moment de lecture.
La lecture de "Les évadés" m'a fortement surpris (d'autant que je sortais de la lecture de Julien Gracq, au style plutôt dense et "touffu" !) et, interpellé irrésistiblement par un style sans équivalent, j'ai découvert le sourire aux lèvres le facétieux auteur Christian Gailly.
Fan de Jean Echenoz, il ne pouvait en être autrement. Des similitudes entre eux, même si une page d'Echenoz n'équivaut à rien . Inimitable aussi dans ce genre, Monsieur C.Gailly cette fois et donc, encore plus minimaliste on dirait.
L'histoire, tout d'abord: Scott Amundsen (...association des noms des 2 célèbres explorateurs) qui détient les pleins pouvoirs sur la ville portuaire où se situe le roman, ne supporte pas l'idée que le jeune Jérémie Tod tourne autour de sa villa et de sa fille Alix. Cela date d'une vieille histoire appelée "l'histoire Tod". Alors il veut lui faire peur, le corriger mais ça se passe mal lorsqu'il envoie son homme de main. des témoins assistent à la scène et l'un d'entre eux intervient, puis la police. Un couple, les époux Maiden, de simples touristes, vont recueillir Jérémie et le ramener chez lui. A partir de là, on en saura un peu plus sur cette fameuse histoire Tod et sur la suite des opérations qui se terminera par une évasion et un dénouement surprenant. Etonnant scénario à la limite de l'absurde, mais, après tout, pourquoi pas? L'essentiel est de prendre du plaisir et se faire embarquer par l'intrigue et forcément, se faire déborder, envahir par le style.
Pour la forme: des chapitres courts (67 pour 250 pages), mais très denses dans le contenu narratif de l'histoire, l'histoire avance vite, il y a des sauts dans le temps, des changements de lieux, de personnes: à nous lecteur d'en faire le lien. Des phrases très courtes aussi, certaines sans verbe, d'autres sans sujets. Pas forcément facile à lire. Un peu télégraphique parfois. Il faut s'y accoutumer. C'est déroutant.
Parfois, l'auteur s'amuse -c'est forcément délibéré-, à ne pas terminer ses phrases et à laisser au lecteur le soin de le faire. On comprend alors l'essentiel, on termine bien évidemment la phrase dans sa tête et le tour est joué. " ...Elisabeth pivota sur elle-même et se laissa choir dans les bras d'Eva. La même chose se produisit pour Jérémie lorsque. Dans les bras d'Alix il se réfugia lorsque."
Jouer avec les mots et le lecteur, ça aussi, c'est le style de Gailly. Par exemple...à l'entrée d'une chambre...
" Celle-ci (Lucie) frappa, attendit. Elle entendit un murmure vague. Ce pouvait être un Oui. Elle refrappa. Jérémie protesta d'un C'est ouvert. Lucie ouvrit. Ouvrant plus largement elle s'avança. Se retournant elle s'effaça. Tandis qu'elle s'effaçait, reculant le dos à la porte, Alix, elle avançait."
Ou encore, un passage très beau, analyse de la sensation de deux amants, l'analyse d'être amoureux façon Gailly : " A une heure moins le quart on a frappé. Ca aurait pu sonner comme un réveil. Il n'y avait plus rien à réveiller. Tout en lui, tout de la vie ordinaire, règlée selon les heures était déjà. Peut-être pas. Dit comme ça, peut-être pas. C'était plutôt la vie hors de cette chambre, hors de la présence de Liv, hors le fait d'être ensemble qui avait cessé d'exister. Retourner dans l'ordinaire de cette inexistence lui était devenu impensable."
L'auteur s'arrête sur des détails et des choses sans importance. Pour le plaisir et la malice. C'est drôle, parfois.
Les personnages sont assez nombreux, notamment au début, il faut bien comprendre ce qui les unit ou les désunit, savoir qui est qui et, entre eux, c'est parfois un peu théâtral, le texte étant bourré de didascalies qui évoquent leurs regards, leurs attitudes, ce qu'ils pensent. Pour les dialogues, inutile d'en chercher avec la ponctuation habituelle. Ils sont insérés dans le texte et l'on doit s'y habituer (sous peine de fermer le livre, j'imagine, avec une forte irritation). Les personnages s'interpellent, se posent des questions, se renvoient la balle et parfois aussi, C.Gailly évoque les sous-entendus ou les non-sens, les interprétations de chacun ou leurs incompréhensions.
" Allo, Ferguson? Bonjour mon cher. Mathilde va bien? Les enfants aussi? Très bien. Vous allez recevoir un nouveau détenu...Je veux qu'on le soigne. Vous avez compris ce que j'ai dit? J'ai parfaitement compris Monsieur Admunsen." Inutile d'en dire plus, on a compris aussi.
Au final, une lecture qui m'a plu...et je crois que je vais y retourner très bientôt. Gailly, Echenoz presque la même admiration ?
P.S. Anecdotique mais amusant...je crois que j'ai enfin trouvé d'où venait l'inspiration et le style de Kyan Khojandi, créateur de la série Bref. Les fans le reconnaitront sans doute aussi...
" Le regard dur de Louise ne quittait pas Théo. Théo regardait Louise. Chick, à côté de Théo, voyait que Louise ne cessait pas de regarder Théo et que Théo fixait très intensément Louise. Anderson regardait le piano. Il se tenait debout près de l'issue". Assez ressemblant, non?
Commentaires
Gailly? J'ai regardé mes archives, ce nom me dit quelque chose mais je n'ai rien retrouvé.Je note donc ce titre. Bonne semaine et bonne lecture.