Braine revient de la guerre, traumatisé par un séjour dans un hôpital militaire; on ne sait exactement ce qu'il a vécu et subi lorsqu'il retrouve sa famille sur le quai de la gare on ne sait où: il y a Lily, sa femme et ses deux enfants, Louis un bambin de trois ans et sa soeur présumée, une petite chienne appelée Lucie. Ce sont les retrouvailles et le chien reconnait mieux son "père" que l'enfant.
Braine retrouve ses marques grâce à Lily, "une femme pas chienne du tout", réapprend à conduire sans savoir où il va, à communiquer un peu et se voit proposer de reprendre son travail dans le garage familial, propriété de la belle famille Sligo. C'est décidé lors d'un épique repas avec Arthur "le Président" et Johanna, les parents fortunés de Lily.
Lily et Braine sont si heureux de se retrouver, Lily veille à la récupération de son mari, surveille comme une mère son sommeil.
" Ainsi de suite, les morceaux se recollaient. Il faisait beau.(...) La chose, pour lui, se passait, par exemple, comme pour un myope à l'extrême qui pour la première fois voit, sa vue corrigée par des lunettes." La vie, l'amour, le bonheur, cela ne saurait durer.
Braine reprend des forces et du service pour le compte des automobiles Sligo: mais il sent bien qu'il ne fera pas long feu à l'atelier, préférant, car on lui a laissé le choix, la conduite de la dépanneuse.
Et c'est en intervenant dans la réparation d'une crevaison d'une voiture conduite par une superbe femme toute de jaune vêtue que la vie de Braine va sortir d'un fleuve qu'on pensait tranquille.(... Enfin, pas vraiment, sinon quel ennui!).
Cette femme, Rose Braxton, va alors proposer à Braine de reformer le groupe de jazz dans lequel il jouait du bugle (sorte de petite trompette)...Il y a si longtemps, si longtemps qu'il n'a pas joué avec ses compères et puis Rose qui semble l'avoir connu...mais d'où? Braine se laisse séduire par la proposition et l'instrument qui avait été oublié est ressorti.
" Vous exagérez, je crois, dit Rose Braxton, la musique n'est pas si dangereuse. Le jazz, si, dit-il, c'est toujours risqué de se donner en entier..."
Effectivement, c'est risqué le jazz et les grandes armoires, plus encore peut-être lorsqu'on décide d'y ranger au-dessus certains objets.
Inutile d'en dévoiler plus, la fin tragico-comique vaut le détour, c'est non seulement bien écrit mais bien construit. Une vraie ambiance et quelle drôlerie! Toujours ces courtes phrases descriptives des actions du quotidien, cette manière de situer les personnages dans leurs gestes et attitudes pour nous faire comprendre leurs sentiments, toujours ces questions et dialogues écrits sans repérage formel de ponctuation, ces emplois de temps qui surprennent, -là où on attendrait plutôt un passé simple d'action, il emploie l'imparfait, aussi cette façon (comme Echenoz) d'interpeller le lecteur ou de jouer avec les mots...
" C'est peut-être ça, sa véritable infirmité. L'invalidité qu'il avait rapportée de là-bas. Une incapacité à ne pas aimer."
J'ai vraiment apprécié l'écriture déroutante de Christian Gailly qui m'a surpris et encore séduit; je pense par ailleurs qu'elle doit être bien insupportable ou insignifiante pour certains.
A lire aux éditions de Minuit.
ps: j'écrivais dans une précédente critique que ma précieuse découverte 2013 de lecteur avait été Marc Dugain...j'y adjoins désormais forcément Christian Gailly.