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C'est tapi dans l'ombre de Florent-Claude Labrouste que se cache Michel Houellebecq, l'écrivain qui dérange notre actuelle période trouble et anxiogène. Impossible de lire ce roman sans penser que le personnage central du livre, un homme de 46 ans, ingénieur agronome et dépressif solitaire ne pourrait pas ressembler un tant soit peu à notre trublion anthopologue.
L'histoire commence en Espagne, c'est absolument drôle et remarquablement écrit mais c'est principalement en France, et notamment en Normandie ou, entre Paris et la Normandie, que se déroule ce roman. Un récit qui nous fait suivre les pérégrinations de Florent-Claude, un homme qui lutte pour la vie, un homme dépourvu d'envie et plus particulièrement d'envies sexuelles et amoureuses puisqu'il consomme des anti-dépresseurs dont les effets secondaires agissent sur sa libido.
Pour Florent-Claude, il s'agit de faire le décompte des charges, faire le bilan d'une vie d'homme, de sa vie amoureuse et de nous faire découvrir les femmes qu'il a aimées, ou tout du moins tenter de le faire: Yuzu, Kate, Claire et Camille. Aucun mariage, aucun divorce si ce n'est le divorce d'un homme avec la vie, une rupture avec le bonheur, sans reproche et sans concession. Parlant de Claire, il écrit "Claire a eu sa part de mélodrame sans véritablement s'approcher du bonheur- mais cela qui le peut? pensait-elle. Plus personne ne sera heureux en Occident, plus jamais, nous devons considérer le bonheur comme une rêverie ancienne, les conditions historiques n'en sont tout simplement plus réunies."
L'analyse est certes désespérante, clinique, ultime et un peu vrai pour chacun d'entre nous, à différents niveaux, celui de Florent-Claude étant situé sur l'avant-dernière marche et peut renvoyer chaque lecteur à sa propre conception du bonheur. Un peu plus en avant dans le roman, après de très belles lignes nostalgiques où Houellebecq décrit son Amour et ses conditions pour Camille (le bout du quai 22 de la gare Saint-Lazare.), voici encore: " J'ai connu le bonheur, je sais ce que c'est , je peux en parler avec compétence et je connais aussi sa fin, ce qui s'ensuit habituellement. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé comme disait l'autre [...] la vérité est qu'un seul être vous manque et tout est mort, le monde est mort et l'on est soi-même mort, ou bien transformé en figurine de céramique, et les autres aussi sont des figurines de céramique, isolant parfait du point de vue thermique et électrique, alors plus rien absolument ne peut vous atteindre, hormis les souffrances internes, issues du délitement de votre corps indépendant [...] il y a juste que j'étais seul , littéralement seul, et que je ne tirais aucune jouissance de ma solitude...". C'est beau ldésespoir quand c'est si bien décrit.
Il y a dans ce livre quelques très belles pages, des lignes d'écriture qui provoquent un peu l'admiration pour cet écrivain si dérangeant. Personnage médiatique qui joue des médias et de lui-même, oui? Et alors? Lire ces pages c'est presque à chaque chapitre être confronté à une part de soi-même un peu oubliée par le tourbillon de la vie et nos préoccupations quotidiennes; lire Sérotonine a été une somme de moments délicieux, à déguster, sachant qu'à chaque fois que j'allais prendre le livre, j'allais me sentir amusé, porté et transporté, dans état de réflexion et qu'à chaque fois que je le reposerai, je serai admiratif et heureux d'avoir lu de belles et longues phrases. Un moment de bonheur, somme toute.
Dans ce livre, à travers la description du monde rural. il y a aussi la description d'une certaine France, celle d'avant, celle des paysans qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts et dont certains de leurs représentants vont jusqu'au suicide. Accablés de dettes, de normes européennes, de l'incompréhension des pouvoirs publics et des consommateurs, il semblerait qu'on ne puisse rien pour eux, comme un cachet de Captorix (le nom de l'anti-dépresseur) ne peut rien pour soigner Florent-Claude.
Alors même si la thématique générale de ce roman -comme souvent pour Houellebecq- pourrait porter certains à ne pas oser lire ce livre -ou bien, seraient-ils dérangés par le personnage?-, je vous recommande la lecture de Sérotonine, peut-être désespérant mais éminemment singulier.
Commentaires
le déprimé de service !!!