Un des plus volumineux roman de Jean Echenoz, ça fait du bien ! 300 pages, on n'est plus habitué ! L'auteur nous offre 300 pages en passant par Paris, la Creuse et la Corée du Nord. Il faut déjà reconnaître l'atypisme des lieux.
L'Envoyée Spéciale s'appelle Constance et c'est cette femme dont on va suivre le destin pendant un an. "Je veux une femme, a proféré le général." Kidnappée, Constance, qui mène une vie plutôt ennuyeuse dans les beaux quartiers de Paris, va découvrir la vie de séquestrée, entourée par des geôliers bruts de décoffrage, les finalement sympathiques Christian et Jean-Pierre. On ne sait pas trop si cet enlèvement est lié à la criminalité ou à une toute autre raison au début du livre, en tout cas, on demande une rançon auprès de son mari, le dénommé Tausk, une sorte de pendant de Patrick Hernandez -le fameux compositeur de Born to be alive-. Un Tausk que l'inspiration a fui et qui ne trouve plus les clefs des mélodies qui fonctionnent...pas plus qu'il ne cherche à payer la rançon d'ailleurs, suivant les conseils de son demi-frère Georges-Hubert Coste, un riche avocat extraverti.
Constance se retrouve à la campagne et voici Echenoz qui nous régale.
" Nous revoici dans le département français de la Creuse. Avant-dernière dans le classement national des densités de population, la Creuse compte de vastes pans inoccupés voire, dans le sud, quasiment déserts. Les landes y alternent avec les hauts plateaux, les forêts avec les tourbières. Il n'y a personne, rien à manger pour personne, que des champignons en automne, mais nous ne sommes pas en automne et nous nous méfions des champignons, ainsi que des baies que seuls savent choisir les partisans du retour à la nature. En forêt, hormis quelques bêtes sauvages, -loups sans affect, cerfs ombrageux, sourcilleux sangliers - qui cherchent elles aussi de quoi manger, vous-même à l'occasion, il est d'autant plus rare de croiser une présence humaine que la région se dépeupleà vue d'oeil. Et moins il y a de monde, on le sait, plus il y a de forêt." Juste un extrait pour dire que l'auteur n'a rien perdu de sa qualité d'écriture, de son style inimitable et de sa dose d' humour que l'on retrouve tout au long du roman.
Délaissant par moments la Creuse, l'action du roman se situe alors à Paris et on suit les errements de la vie de Tausk - notamment à travers la complicité d'avec son parolier dépressif Franck Pélestor; pour les deux hommes comme je le disais, c'est la panne musicale. On remonte aussi le temps et un autre personnage atypique lié au tumultueux passé de Tausk va réapparaître, un certain Clément Pognel. Celui-ci va reprendre contact avec Tausk par l'intermédiaire de sa coiffeuse remplaçante, Marie-Odile Zwang. Et puis, on retrouvera Pognel bien plus loin dans le livre, mais inutile d'en découvrir plus...
Les actions s'enchainent et on se délecte des croisements des multiples personnages inventés par Echenoz: la pauvre et effacée Lucile, son amie Nadine Alcover, un agent des renseignements nommé Lessertisseur, un autre espion qu'on nommera, en fonction, Paul ou Victor Objat, un conducteur de bus bricoleur appelé Hyacinthe...galerie non-exhaustive qui garnit ce roman d'espionnage au scénario digne du Tarantino de Pulp Fiction ! (la comparaison s'arrêtera là...par moment, on est plutôt proche des Tontons Flingueurs !)
Les chapitres sont assez courts et denses, ponctués de dissensions menées par le jeu de l'écriture et l'amour des mots. Et puis souvent, pour terminer ces chapitres, Monsieur Echenoz achète la complicité de son lecteur en s'adressant à lui directement, le prenant à témoin pour telles considérations ou prises de position dans le cours de l'histoire. Personnellement, j'adore !
Le livre se termine de façon rocambolesque en Corée (du Nord? du Sud? à vous de lire...) et puis par le passage en revue de la majorité de ses personnages après toutes ses péripéties. On a passé un bon moment et peu importe si on ne sait si Tausk trouvera l'inspiration au Zimbabwe ou ailleurs, ni non plus si Constance continuera ses aventures avec l'homme qui l'aborde et lui demande son chemin pour la rue Pétrarque...le voyage est fini, vivement le suivant !
Commentaires
Ce livre fait partie de la sélection du Livre Inter, je n'avais pas très envie de le lire, mais après ton article, pourquoi pas? Bon WE.