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Ce livre particulièrement bien documenté raconte l'histoire des 80 000 personnes définies comme juives qui ont séjourné dans le triste camp de Drancy. Annette Wievorka est directrice de recherche au CNRS et est une spécailiste du génocide sur les juifs en France.
A l'origine, le camp de Drancy est situé dans une cité (la cité de la Muette) construite dans les années 30 (et détruite en 1976) dans le but d'améliorer les conditions d'habitat de centaines de personnes. Ce sont les premiers gratte-ciel français. Le projet est ambitieux pour l'époque: 5 grandes tours de 14 étages sont baties côte à côte avec alignés dans un axe perpendiculaire, 10 immeubles plus petits et une grande cour en forme de "u" terminant l'ensemble. Même si la cité constitue pour l'époque une avancée en terme de qualité de logement (eau courante, chauffage, évacuation des déchets, ascenseur...), elle ne sera pas réellement fonctionnelle et utile, notamment à cause de la crise économique qui rend la location des logements inabordables pour les ouvriers. D'autre part, la finition laisse à désirer, les blocs de béton se désolidarisant de la charpente métallique, le système de chauffage ne résistant à l'hiver 39 rigoureux...
Après avoir logé principalement des gendarmes, la cité de la Muette devient en juin 1940 le Frontstalag 111 permettant aux soldats de la Wehrmacht de se loger. Puis, rapidement, des prisonniers de guerre français et anglais y seront internés avant que la cité (équipée de miradors et entourée de barbelés) ne devienne un camp d'emprisonnement. L'auteure donne le nom de "camp de représésailles" au camp de Drancy pour la période allant d'août 1941 à juin 1942.
Ce camp que l'on estime "pire qu'à Dachau" renferme jusqu'à 4000 hommes (les femmes et enfants seront emprisonnés plus tard) qui vont vivre dans des conditions particulièrement inhumaines: avec des rations alimentaires insuffisantes pour subsister, sans chauffage, sans hygiène, sans soin (la tuberculose s'y développe, il y a des épidémies de diarrhée). " ...les hommes conservent leur linge de corps et prennent leur repas dans des boîtes de conserve vides, rouillés, en se servant des doigts...". Dans les chambres surpeuplées, les lits sont remplis de punaise. La Croix-Rouge essaie d'intervenir mais c'est insuffisant. A ces conditions de vie s'ajoute le problème du marché noir nourri par le système pervers mis en place par les nazis. Ceux-ci permettent l'envoi de colis (cigarettes, pain, savon...) aux détenus qui monnaient alors la moindre denrée. Au passage, les gendarmes français se servent aussi. Drancy est le lieu de tous les trafics, subsister est primordial.
Les nazis vont permettre à l'UGIF ( union générale des israélites de France) de remplacer la Croix-Rouge pour pallier aux éventuels services de l'état Français: visite, prise en charge des soins et hospitalisation, ravitaillement par les colis. Ce système mis en place par les allemands est d'autant plus pervers qu'il fait penser que les juifs sont eux-mêmes responsables de leurs atroces conditions. Et qu'à l'intérieur du camp, les dissensions peuvent se créer entre les différentes communautés de juifs. Tout le monde n'est pas "logé" à la même enseigne, notamment pour les premières déportations... il y a les Juifs des Pays de l'Est, ceux des pays alliés à l'Allemagne, les Juifs Français et ceux qui sont mariés à des Aryens qui eux, peuvent espérer échapper à la déportation.
A partir de juillet 1943, le camp de Drancy devient un camp de déportation. C'est sous la houlette d'un officier SS Aloïs Brunner nommé par Eichmann que le camp va prendre une nouvelle forme: les gendarmes français sont chassés, les SS décident de placer une administration juive pour gérer le camp. Ils entreprennent des travaux pour le rendre fonctionnel. Les juifs sont classés (A,B, C1 à C5, D,E,F), ce qui place certains en position imminente de départ pour Auschwitz ou ailleurs et protège d'autres. La terreur est de mise, les brutalités nombreuses, c'est par la violence que les SS organisent les déportations. Des trains bondés (c'est environ 1 000 personnes- hommes, femmes, enfants_- à chaque départ) prennent la direction de l'Est pour une "évacuation", en tout près de 80 000 juifs seront déportés et cruellement assassinés. La Shoah aux portes de Paris.
A la Libération, retournement de situation, le camp de Drancy deviendra alors un camp pour les "collaborateurs" qui seront sans doute mieux traités que les précédents occupants ...A partir de 1946, Drancy servira de logement collectif. Réhabilité, le lieu devient par la suite un véritable enjeu de la mémoire historique, - la SNCF est même mise en accusation pour son rôle dans la déportation des Juifs de France; finalement y sera construit un Centre sous la rsponsabilité du Mémorial de la Shoah qui présente l'histoire du camp de Drancy.
Une histoire terrible qu'il ne faut pas oublier.