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Titre du blog : Le pivot d'Héricy
Auteur : laugo2
Date de création : 12-04-2009
 
posté le 14-06-2014 à 08:50:20

Caprice de la reine de Jean Echenoz

 

 

 

 

  Un peu moins enthousiaste qu'à l'habitude avec ce recueil de nouvelles. L'éditeur s'est offert quelques ventes avec cette compilation de textes que j'ai trouvés plutôt inégale. On dirait presque un livre posthume qui s'attacherait à reconstituer toute l'oeuvre de l'écrivain. Donc, 7 nouvelles publiées dans des périodiques entre 2002 et 2014, écrites spécialement pour certaines personnes (Patrick Deville) ou certaines occasions.

  Tout commence plutôt bien avec "Nelson", la première histoire narrée par Jean Echenoz. Concision stylistique, précision du vocabulaire, humour non-feint pour retracer en quelques pages la vie du célèbre manchot amiral.

  Puis c'est le "Caprice de la reine". Jean Echenoz décrit un paysage depuis une hauteur. Placé à tel endroit de son jardin, il fait le tour de son champ de vision pour aller de l'infiniment grand et lointain jusqu'à la description de sa proximité.Tournant autour ce cette maison, il finit par regarder à ses pieds et, juste là, il y a une reine. C'est assez étrange comme texte, la fin est amusante. L'auteur a toujours cette façon de surprendre son lecteur, c'est un peu comme un exercice littéraire avec le simple plaisir des mots. Mais bon, pas vraiment passionnant.

  "A Babylone"  a été écrite pour la sortie d'un disque d'Haendel. Il s'agit de retracer et de commenter les écrits qu'a pu faire le père de l'Histoire, le grec Hérodote. Grand voyageur, Hérodote a décrit la cité Babylone, une des 7 merveilles du monde. Jean Echenoz fait avec imagination, et comme il sait si bien le faire, revivre un personnage réel (voir son oeuvre avec Ravel, Zatopek, Cesna...). "Mais Hérodote s'en fout, en attendant il va et vient, se promène dans les rues de la ville et dans ses environs, regarde autour de lui, se documente, essaie dans son mauvais assyrien de discuter avec les gens qu'il rencontre[...] On tente d'imaginer l'explorateur recueillant ces informations. Les inscrivant dans sa mémoire avant de les transférer sur papyrus  ou de les graver sur des tablettes d'argile recto verso, comme procèdent les Babyloniens qui les conservent telles quelles ou qui, par précaution, quand ces informations sont importantes, les font cuire." Très historique donc, Jean Echenoz finit par convenir que l'oeuvre d'Hérodote manque parfois de précisions, d'informations. " Le seul problème avec lui, c'est qu'il va parfois un peu vite  de sorte que pour entendre son propos, parfois, certains développements manquent, certains détails." Forcément, cette remarque ne surprend pas de la part d'un tel maître des mots qu'est l'auteur, lui qui donne au regard du lecteur tant d'exactitude et de netteté.

  La nouvelle suivante n'en est pas vraiment une. "20 femmes dans le jardin du Luxembourg" et dans le sens des aiguiles d'une montre" n'a de bon que le titre en fait. Description des reines et autres duchesses de l'Histoire de France statufiéees dans le célèbre jardin. Rien de notable, c'est un texte écrit pour la revue "Paris-Musées en 2002.

 Puis vient "Génie civil". La nouvelle la plus aboutie, celle où l'on retrouve le meilleur de l'écrivain. 30 pages tout de même, il y a du contenu. C'est l'histoire d'un ingénieur des Ponts et Chaussées, veuf, qui parcourt le monde pour voir, admirer les...ponts. " Gluck a entrepris de ne plus se consacrer qu'à eux, de poursuivre et pourquoi pas finir son existence en leur seul compagnie.". De la page 57 à la page 62, on profite d'un régal avec l'Abrégé d'histoire générale des ponts. C'est délicieux, cette histoire du franchissement fait par l'homme. 

Gluck, lui, continue sa quête " "Ses voyages vers les ponts l'avaient amené partout où il s'en trouve et Dieu sait s'il y en a, que ce soit  au-dessus des détroits de Kurushima, de Messine, du Grand Belt et de Neko, des gorges de Salgina, de l'estuaire de Severn, du canal Kap Shui Mun, du lac Maracaibo, du Bosphore et du Gange, des flots de l'Elbe ou du Guadalquivir ou des bras de mer qui séparent les îles Falster et Faro. Gluck les vit tous, [...] devenu collectionneur de ponts comme d'autres collectionnent les aquatintes ou les ennuis.".

Le sens de sa vie ne s'en trouve pas pour le moins résolu et Jean Echenoz livre alors un fort beau paragraphe:" Ce n'est donc pas son premier déplacement, il en a fait bien d'autres depuis qu'il a pris le parti d'arpenter le monde. Mais ces mouvements, il ne les a pas entrepris dans le seul but de se changer les idées après son veuvage; de tels voyages tournent d'ordinaire à vide, se bornent à vous faire tourner vous-même en rond, on ne respire pas mieux la distance, on ne s' y sent pas plus libre ni souverain ni dégagé qu'ailleurs, on ne s'en sort pas. A peine peut-on se dire qu'on est loin, cela grise quelques minutes pendant lesquelles on voit ou croit voir les choses neuves d'un oeil neuf: c'est un leurre, un malentendu, car c'est moins une région que l'on découvre que son nom, c'est lui qu'on parcourt plutôt qu'elle. On s'admire surtout de l'occuper, d'arpenter les syllabes exotiques de ce nom plutôt que les panoramas du pays lui-même, qui devient vite à vrai dire un bled comme un autre où l'on ne pense bientôt plus qu'à retourner dans le sien, rentrer chez soi où l'on sait bien aussi d'ailleurs qu'on ne sera pas mieux, bref on n'est guère avancé.
  On ne saurait donc se mouvoir qu'avec un but, un axe, un cap, une idée fixe en tête, sinon mieux vaut rester derrière ses fenêtres."
 

Dans la nouvelle, on est en 1980 et Gluck se rend en Floride. Il a rdv avec Valentine Anderson sur le Sunshine Skyway. Malheureusement, il y a une forte tempête....

  Ensuite, c'est "Nitrox". Très étrange texte. Là le personnage principal c'est une femme dénommée Céleste Oppenheim qu'on retrouve en petite tenue dans un cube sans fenêtre, une sorte de cellule. Deux hommes viennent la chercher et elle s'extrait du...sous-marin pour explorer les profondeurs océanes...

  On finit avec "Trois sandwiches au Bourget", l'histoire d'un homme qui décide d'explorer...la banlieue Nord de Paris, du Bourget au Blanc-Mesnil, il a comme exceptionnel projet de manger des sandwiches...!!! C'est un projet qu'il mène depuis un an...Ce texte est une sorte d'errance répétée dans la banlieue, une escapade par les transports en commun, sans doute un brin autobiographique puisque le narrateur a souvent des soucis avec son stylo qui tombe en panne. Comme à son habitude, les descriptions sont très fines, apportant une touche, une atmosphère un peu désuète à cette banlieue tristounette. Pas mal, et bien dans la veine Echenoz même si cette histoire ne mène nulle part... un dimanche matin d'hiver... en fin de matinée... banlieue Nord-Est...