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Un roman dont on parle beaucoup en ce début d'année dans le monde littéraire. Encensé par la majeure partie de la critique, j'aurais tout de même quelque retenue à être extrêmement élogieux.
Edouard Louis est un jeune écrivain né en octobre 1992; âgé de 21 ans, il est un brillant intellectuel spécialisé en sociologie (normalien de l'Ecole Normale Supérieure). Son parcours, puisque c'est de cela qu'il s'agit dans ce roman largement autobiographique, n'est pas banal. Edouard a grandi à Hallencourt, un village situé près d'Abbeville en Picardie. Il vient d'un milieu modeste, très "populaire" qu'il dépeint avec réalisme et explique son cheminement pour sortir de sa condition. Par ailleurs, il révèle sa difficulté à vivre son homosexualité.
Edouard Louis ne s'est pas toujours appelé ainsi, on le prénomme "Eddy". Pourquoi Eddy? " ...mon père avait décidé de m'appeler Eddy à cause des séries américaines qu'il regardait à la télévision [...] Avec le nom qu'il me transmettait, j'allais donc me nommer Eddy Bellegueule. Un nom de dur." Son père en était un aussi, un dur, un véritable homme, comme auparavant l'était son propre père, buveur impénitent et par ailleurs violent: l'image du mâle dominant en campagne.
Très vite, Eddy brise le rêve de son père: avoir un fils, un vrai, un qui joue au foot et qui plus tard boit des bières et se tape des nanas. Non, Eddy, lui, pose problème: " pourquoi Eddy il se comporte comme une gonzesse?. Eddy a des manières et se trouve beau lorsqu'il essaie les vêtements de sa soeur. "...Mes goûts aussi, toujours automatiquement tournés vers des goûts féminins sans que je sache pourquoi. J'aimais le théâtre, les chanteuses de variétés, les poupées...".C'est ainsi, et cela a bien du mal à être compris et accepté. Notamment au collège où Eddy se fait molester fréquemment et est la risée de tout le monde. Eddy accepte sa douleur et la considération qu'on a de lui. "Bellegueule est un pédé puisqu'il reçoit des coups (ou l'inverse)."
Au village, c'est pareil. Etre un jeune homosexuel passe mal. Le livre d'Edouard Louis est édifiant dans la description de son milieu. Le rôle de la femme par exemple..." ...dans le village, les femmes faisaient des enfants pu devenir des femmes, sinon elles n'en sont pas vraiment. Elles sont considérées comme des lesbiennes, des frigides."
L'auteur décrit sa soeur, au caractère très dur pour pouvoir exister, sa mère, qui est tombée enceinte à 17 ans et qui a arrêté son CAP cuisine. Une vie toute tracée. La vie au village pour les femmes, c'est comme ça".. la plupart du temps elles gardent les enfants -je m'occupe des gosses- et les hommes travaillent ils bossent à l'usine [...] l'usine de laiton dans laquelle mon père avait travaillé et qui régissait toute la vie du village".
Dans ce milieu, un objet est omniprésent: la télévision. " ...Nous en avions 4 dans une maison de petite taille, une par chambre et une dans l'unique pièce commune, et l'apprécier ou ne pas l'apprécier n'était pas une question que l'on se posait."
Les hommes, comme je le disais plus haut, sont des mâles. Eddy parle largement de son père dans son chapitre "la bonne éducation". Un père alcoolique qui, à force de s'user à l'usine s'est détruit le dos et passe désormais son temps à boire des pastis devant la télévision. " il ne fallait pas, jamais, le déranger devant sa télévision. C'était la règle..." ou encore " A table, mon père parlait de temps en temps, il était le seul à en avoir le droit." Une famille où l'on ne se dit plus bonjour ou bon anniversaire, un père qui ne comprend pas son fils, qui se moque de lui avec ses amis, terrible, terrible ambiance.
Un univers d'une véritable misère sociale. A ce titre le livre est absolument impressionnant. Tout ce qui est décrit dans cette première partie appelée "Picardie" et qui se déroule dans les années 2000 est d'une violence extrême. Eddy tente dans cet environnement détestable de trouver sa place malgré les railleries incessants du fait de ses manières, du fait de son homosexualité: une terrible jeunesse.
La deuxième partie du livre "L'échec et la fuite", c'est sans doute la partie la plus difficile à lire dans ce livre. Il y a tout d'abord ce chapitre appelé "Le hangar" qui raconte l'éveil amoureux d'Eddy et les relations entre jeunes garçons du village. Les descriptions sont...saisissantes.
Puis, pour tenter de lutter contre son homosexualité dans une période de la vie où l'on peut douter de tout, doute exacerbé par l'environnement sociétal, l'échec, c'est l'échec d'être "normal": Eddy tente de s'inventer une vie d'hétérosexuel et c'est le dégoût de soi-même qui s'ensuit lorsqu'il est avec une fille et qu'il est obligé de passer par un scénario horrible mettant en scène des hommes. Ces passages m'ont un peu dérangés...je l'avoue. Question d'âge?
Le dernier chapitre s'intitule "La porte étroite" et raconte le départ d'Eddy pour Amiens. Changer de vie, s'échapper de ce milieu. Et c'est grâce au théâtre qu'Eddy pourra intégrer le lycée et l'internat.
La suite pour ce qu'on en sait est une belle réussite.
Mon avis sur le livre est assez mitigé. Si j'ai apprécié toute la première partie et la description de ce milieu qu'on ignore, qu'on ose à peine croire réel, la peinture de ce "Germinal" des temps modernes et, par ailleurs, la complexité pour quelqu'un de devenir ce que l'on est (!) et assumer donc sa différence...j'ai trouvé un peu trop "trash" certains passages de la fin du livre. C'est un peu...dur à lire, presque insupportable..
Mais finalement...n'est-ce pas la vie d'Eddy qui était surtout insupportable?
On peut en savoir plus sur Edouard Louis alias Eddy Bellegueule sur son site:
http://edouardlouis.com/
Commentaires
Comme les romans de Lionel Duroy, celui-ci n'a pas été sans conséquence familiales et sociales pour son auteur: il faut un certain courage pour les écrire.