" Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède"
Saint-Augustin, evêque d'Hippone.
♥♥♥♥♥
Lire un Prix Goncourt est l'assurance d'avoir un ouvrage de qualité entre les mains,de s'ouvrir à un moment de Littérature contemporaine.
Avec le livre de Jérôme Ferrari qui semble être un peu une surprise pour ce prix (ses livres précédents n'ont pas connu un tel succès, je l'ai entendu dans une interview et il paraissait un peu dépassé par l'événement...), cela n'a pas failli et j'ai eu un réel plaisir à "déguster" ce petit livre. La 1ère de couverture n'est pas très attractive (pourtant les éditeurs savent combien cela compte dans le choix d'une lecture) et le titre...moins encore.
Un roman, ce sont des mots et une histoire mais avec Jérôme Ferrari c'est encore un peu plus car il y a une réelle portée philosophique dans ce récit allégorique.
Un peu d'Histoire pour commencer, sinon difficile d'entrer dans le texte ou dans le contexte (même si l'histoire proprement dite et racontée est tout à fait contemporaine).
Augustin d'Hippone ou Saint Augustin est né en Algérie en l'an 354, il meurt en 430 à Hippone. C'est un philosophe et un des plus grands théologiens qui influença durant des siècles la pensée chrétienne...et sans doute aussi remplit-il un rôle politique puisqu'il délivra le "fameux" sermon (des sermons en réalité) sur la chute de Rome qui fera donc date dans l'Histoire. Dès sa conversion au Christianisme en 386/87, vivant et étudiant à Rome et Milan, il comprit et expliqua la Bible comme un texte symbolique, saisissant sa lecture à double niveau. Pour faire court, en 410, Rome est envahie par les Goths menés par leur chef Alaric et cette invasion et cette défaite romaine marque la fin de l'Empire, c'est-à-dire la chute de Rome. Un monde païen s'oppose aux chrétiens. Revenu en terre africaine pour fuir les Barbares, Saint-Augustin va tenter dans ses prêches et ses écritures d'expliquer que Dieu est plus grand que l'écroulement de tout un monde, qu'il n'a jamais promis que tout ne s'écroulerait pas et que c'est simplement naturel, normal, Dieu n'est pas "responsable" de ces guerres, ces désatres et ces villes assiégées, Il ne promet que l'Eternel, pas ce qui se passe ici bas sur Terre..voilà un peu de ce que je crois avoir compris de sa pensée. Pour l'époque, il fallait oser...
Revenons à notre "Goncourt". Dans ce roman, Jérôme Ferrari raconte l'histoire de plusieurs destins dans une même famille corse. Il commence le récit par la description d'une vieille photo noir et blanc de 1918, le cliché du photographe qui passe dans le village près de Sartène et qui réunit toute la famille dans la cour de l'école. Une autre époque. Toute la famille, non, finalement, puisqu'il prend le parti de parler de l'absent, Marcel, l'enfant qui va venir au monde et compléter la grande fratrie de la famille Antonetti. Des parents qui ne s'aiment pas assez " Marcel avait besoin de leur étreinte pour quitter les limbes au fond desquels il guettait depuis si longtemps, attendant de naître, et c'est pour répondre à son appel silencieux qu'ils ont rampé cette nuit-là l'un sur l'autre dans l'obscurité de la chambre", une santé fragile et Marcel grandit de "monde en monde", s'échappant du sien, la Corse et cette langue qu'il n'aime pas, essayant toute sa vie de créer son monde, de le vivre pleinement. Il partira en Afrique avec sa jeune femme, trop belle et stupide, jeune femme qui décédera en couches, le laissant seul avec son fils Jacques. Dans l'incapacité de l'élever, Marcel confie son fils à Jeanne-Marie, sa soeur, et un amour impossible se déclare entre Claudie, la fille de Jeanne-Marie et Jacques.
Stop. J'ai l'impression d'en avoir trop dit déjà...alors qu'en fait, ce roman n'est pas la saga de la famille Antonetti. Cela ne semble pas l'intention de Ferrai. Trop simple.
"Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes, ni de quoi dépend leur existence. Quelque part dans l'univers est peut-être inscrite la loi mystérieuse qui préside à leur génèse, à leur croissance et à leur fin. Mais nous savons ceci: pour qu'un monde nouveau surgisse, il faut d'abord que meure un monde ancien."
Deux générations plus tard, Mathieu, qui n'a connu la Corse qu'à travers des vacances chez son grand-père Marcel, stoppe ses études de philo; en compagnie de son ami Libero, un presque corse pur jus, il va reprendre un bar dans un petit village corse. Le village de son grand-père. Alors, le monde , un éternel recommencement?
Mathieu et Libero vont tout donner dans cette belle entreprise, vivre une belle aventure humaine, servir les pastis et la charcuterie, refaire battre le coeur de ce petit village. Créer leur monde, eux aussi. Ce monde va-t-il perdurer...? Ou bien lui aussi chuter ?...
Jérôme Ferrari fait vivre ces destins, ces mondes (il y a aussi le récit de la vie d'Aurélie, la soeur de Mathieu), tous les événements de ces vies qu'ils entrecroisent, entrecoupent en 5 chapitres dont les intitulés sont des extraits des sermons de Saint Augustin, faisant évoluer avec une verve d'écriture ses personnages au gré d'une malédiction certaine. Le style est riche, les phrases sont longues et la concentration obligatoire pour profiter de l'écriture de Jérôme Ferrari. Mais on ne peut dire que c'est un livre difficile, compliqué à lire, ni trop porté sur la philo. C'est un livre une peu grave, différent, profond, atteint d'un certain penchant pour la comparaison, l'analyse, la réflexion, le tout placé dans un joli contexte romanesque.
"Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons guetter les signes de leur fin. Le déclenchement d'un obturateur dans la lumière de l'été, la main fine d'une jeune femme fatiguée, posée sur cele de son grand-père, ou la voile carrée d'un navire qui entre dans le port d'Hippone, portant avec lui depuis l'Italie, la nouvelle inconcevable que Rome est tombée".
Quant à moi, la fermeture de ce livre ne clora pas mon "monde de la lecture" et de l'engouement pour Jérôme Ferrari car j' ai réellement aimé lire son livre.