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T.C. Boyle est un formidable conteur des temps modernes (d'ailleurs ayant lu à postériori sa biographie, on y apprend qu'il a obtenu un doctorat de littérature, spécialiste de Charles Dickens).
Au début de ma lecture, j'ai été surpris par son style d'écriture, fait de longues phrases alambiquées, où les propositions complexes et multiples se juxtaposent, où les appositions sont nombreuses, où parfois l'écart entre le sujet et le verbe se monte à plusieurs lignes: mais tout n'est pas que grammaire avec Boyle.Le vocabulaire est riche, pointu et sa densité stylistique déroute au départ, séduit par la suite.
Comme le titre du roman l'évoque et le résume, "America" présente ce grand pays de l'autre côté de l'Atlantique, pays, espace aux multiples facettes et celle choisie par Boyle traite du sujet de l'immigration mexicaine en Californie. Ce phénomène fait se cotoyer, s'interpénétrer deux sociétés distinctes aux intérêts bien éloignés et compatibles dans leur coexistence jusuq'à une certaine limite...Pour reprendre des propos d'un aimable ministre appelé Brice H. ...tout est presque dit en d'autres termes..."Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes."
Au Sud donc les "Chicanos" prêts à tout pour travailler, offrir leur existence, voire sacrifier leur vie pour le rêve américain et qui vivent dans des abris de fortune sur cette terre aride, au milieu des canyons inhospitaliers. Au Nord, dans cette Californie riche et ensoleillée, les Gringos nantis et confortablement installés dans des somptueuses villas sises dans des lotissements entourés de hauts murs, ne se déplaçant qu'au volant de leur 4X4 climatisé !
Et tout au long de ce roman, l'espoir succède au désespoir pour les héros du Sud choisis par Boyle, le couple América et Candido venus dans cette Amérique qui ne veut pas d'eux, mais seulement de leur valeur travail. Au Nord, Delaney est un journaliste tendance "nature et démocrate", sa femme Kyra travaille dans l'immobilier et ce couple vit à l'abri du besoin dans une villa à proximité de la nature....A priori donc, l'existence est tranquille, tout est « safe » pour ces bourgeois mais cela ne va pas durer: Delaney va heurter avec son véhicule le Chicano Candido puis va voir ses chiens dévorer par un coyote, autour de lui les gens s'arment pour se parer d'éventuels intrus...l'eldorado de cet homme doux, proche de la nature est mis en « péril » et lui même, au fil du roman, change, sa tolérance et son avis sur les mexicains se voient contrariés d'une façon très humaine et c'est ce qui est remarquable dans le récit de Boyle. Comment penser en humaniste et agir de façon extrême et contraire?
La fin du roman est un peu grandiloquente, les éléments et la nature reprennent leurs droits et il faut aller jusqu'à la dernière ligne du livre pour ne pas sombrer dans les flammes de l'enfer...
Mon avis général: un beau roman, une histoire traitée très "classiquement" avec un sujet épineux et très actuel...de quoi donner à réfléchir en transposant dans notre société.
Prix Médicis Etranger 1997 A noter que le titre original est « The tortilla curtain », le « rideau de tortilla ».