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Encore du Echenoz..encore du Echenoz… et j’en finis avec la trilogie des biographies romancées. Après le sport et les arts, cette fois, le brillant auteur s’attaque au monde de la science…Echenoz retrace la vie de Nikola Testa (1856-1943), scientifique de génie mais peu habile avec le monde des Hommes et de l’argent…Nikola nait dans une nuit orageuse, pleine d’éclairs et ainsi nait ce roman et la destinée de son héros, sûrement aussi son goût pour l’électricité. Un extrait…je trouve ce chapitre 1 magnifique…
« Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c’est possible. On aime mieux être au courant de l’instant chiffré où ça démarre, où les affaires commencent avec l’air, la lumière, la perspective, les nuits et les déboires, les plaisirs et les jours. Cela permet déjà d’avoir un premier repère, une inscription, un numéro utile pour vos anniversaires.Cela donne aussi le point de départ d’une petite idée personnelle du temps dont chacun sait aussi l’importance : telle que la plupart d’entre nous décident, acceptent de le porter en permanence sur eux, découpé en chiffres plus ou moins lisibles et parfois même fluorescents, fixé par un bracelet à leur poignet, le gauche plus souvent que le droit.Or ce moment exact, Gregor ne le connaîtra jamais, qui est né entre vingt-trois heures et une heure du matin. Minuit pile ou peu avant, peu après, on ne sera pas en mesure de le lui dire. De sorte qu’il ignorera toute sa vie quel jour, veille ou lendemain, il aura le droit de fêter son anniversaire.De cette question du temps pourtant si partagée, il fera donc une première affaire personnelle. Mais, si l’on ne pourra l’informer de l’heure précise à laquelle il est apparu, c’est que cet événement se produit dans des conditions désordonnées. »
La naissance de ce magicien, de cet inventeur une fois survenue (dans les Carpates), Echenoz envoie Nikola , alias Gregor dans le livre, aux USA. Vaste pays en plein boum économique, situer l’action et la vie imaginaire de Gregor n’est pas innocent , c’est là qu’il pourra le mieux délivrer à l’humanité l’immensité de ses dons d’invention…car pour Gregor tout est propice à la découverte, au progrès, à l’amélioration de la vie et tout y passe, Gregor a des idées en permanence… « La radio. Les rayons X. L'air liquide. La télécommande. Les robots. Le microscope électronique. L'accélérateur de particules. L'Internet. »…Mais Gregor est un être peu mercantile, il ne sait pas monnayer ses talents, (inventeur du courant alternatif, il sa fait chiper l’idée par Edison..) ; il se fait fi de ses congénères humains et du lendemain, n’a pas de femmes ni de véritables amis ; il vit dans une opulence insouciante, il vit à New York et se comporte comme un mondain, il est bourré de tocs…Echenoz nous présente Gregor comme un être presque détestable, renfermé, complexe, perché dans ses délires inventifs, décalé de la réalité de l’argent et de l’affectif (tout comme l’était Ravel et Zatopek dans ses œuvres précédentes ). Peu à peu, de la reconnaissance de son génie, on passe au rejet et à l’abandon étant donné la folie de ses projets…le plus merveilleux ? Créer de l’électricité en ne consommant rien d’autre que l’énergie du soleil…Magnifique et très actuel Mais sa démesure fait qu’il est délaissé de tous au fur à mesure de sa vie, alors Gregor se rabat sur les pigeons, observe et nourrit ces animaux commensals, en devient même amoureux à la fin du roman… !Quant à l’écriture, elle est toujours minimaliste et redoutable de finesse…De petits chapitres qui forment chacun une « aventure » de Gregor, comme si on lisait une série de petites nouvelles, des moments drolatiques (l’invention de la chaise électrique… !) ou légèrement ubuesques (les explosions dans le désert américain et Gregor qui fait péter les fusibles d’une ville entière)..Je ne sais pas si Jean Echenoz va livrer une nouvelle biographie romancée …après les premiers romans qui sont des romans policiers sans en être réellement, ces biographies qui sont des romans..que va-t-il nous offrir à savourer ??? Vivement le prochain…